Le Covid-19 tue-t-il uniquement des personnes en fin de vie? Le démographe Philippe Wanner, professeur à l'Université de Genève, s'est posé la question. D'après son analyse, obtenue par la RTS, la réponse est clairement non.
Philippe Wanner a calculé l'évolution de l'espérance de vie dans les grandes régions du pays au cours de l'année. Résultat: celle-ci diminue nettement durant les vagues de Covid-19. Or, si les décès dus au virus ne concernaient que des personnes sur le point de mourir, l'espérance de vie n'aurait quasiment pas varié.
Lors de la première vague, le recul a été particulièrement marqué dans l'Arc lémanique et au Tessin, les régions les plus touchées par l'épidémie. En revanche, dans le reste du pays, plutôt épargné ce printemps, les variations sont restées modestes.
Au Tessin, l'espérance de vie a chuté de près de 6 ans au printemps. Fin mars, elle est ainsi revenue momentanément au niveau d'il y a 40 ans en Suisse. En d'autres termes, la situation sanitaire dans le canton italophone était alors comparable à celle vécue en 1980.
Dans l'Arc lémanique (Vaud, Genève et Valais), l'espérance de vie a diminué durant la première vague d'environ 3 ans pour les hommes et 2 ans pour les femmes. Elle a retrouvé des valeurs normales durant l'été, avant de redescendre sous l'effet de la seconde vague cet automne.
Nombreux décès "prématurés"
Que signifie ce recul de l'espérance de vie? Que l'impact du Covid-19 sur la santé de la population ne se limite pas aux personnes très âgées, écrit Philippe Wanner dans son analyse.
"La baisse est exceptionnelle, particulièrement au Tessin, où elle devrait être d'environ un an sur l'ensemble de l'année", indique le professeur à l'Université de Genève. "Cette diminution est surtout provoquée par un nombre significatif de décès prématurés, des personnes de 50 à 70 ans qui avaient encore de nombreuses années à vivre. L'indicateur est très sensible à ces décès".
Recul similaire au Tessin et en Lombardie
Des premières études similaires à l'étranger permettent de comparer l'impact de la crise sanitaire entre les régions. En Lombardie, premier foyer européen de l'épidémie, la situation lors de la première vague s'avère similaire à celle du Tessin. Le recul est estimé entre 5 et 8 ans pour les hommes, entre 3 et 6 ans pour les femmes.
Dans la région de Madrid en revanche, lourdement frappée par l'épidémie, le recul hebdomadaire de l'espérance de vie a atteint jusqu'à 15 ans, soit plus du double.
Baisse modeste mais exceptionnelle en Suisse
Le recul en Suisse sur l'ensemble de l'année devrait rester modeste. La première vague n'a touché qu'une petite partie du pays et n'a duré que quelques semaines, endiguée par une série de mesures extraordinaires.
Mais même une diminution de quelques mois de l'espérance de vie reste exceptionnelle, selon Philippe Wanner, qui rappelle que la tendance était à la hausse depuis des décennies en Suisse.
D'après les données de l'Office fédéral de la statistique, l'espérance de vie à la naissance n'a reculé depuis 1980, très légèrement, que deux fois pour les femmes et quatre fois pour les hommes. En quarante ans, elle a progressé de 9 ans pour les hommes et 6 ans pour les femmes.
Le baisse sur l'ensemble de l'année 2020 dépendra évidemment de la deuxième vague, qui touche fortement la Suisse depuis cet automne. Avec elle, l'espérance de vie a à nouveau rapidement chuté. Mais les données à disposition ne permettent pas encore d'analyser cette période.
Valentin Tombez