L'école à la maison pouvait faire rêver plus d'un enfant. Mais quand les écoles ont fermé au printemps dernier, le rêve a parfois tourné au casse-tête, voire au cauchemar.
Pour suivre les cours, rester en contact avec la classe et ses profs, il fallait passer par internet. Or, cette "école connectée" a laissé de côté les élèves qui n'avaient pas le bon équipement informatique à la maison, ou ne maîtrisaient pas suffisamment les codes et outils du numérique.
Cette situation a mis en lumière des cas de ce qu'on appelle désormais "l'illectronisme" (néologisme signifiant "illettrisme électronique", parfois qualifié aussi de fracture numérique), un phénomène qui touche une part plus importante qu'on ne le pense de la population de tous âges.
On peut aussi inclure dans cette catégorie celles et ceux qui maîtrisent très mal les informations véhiculées sur internet, notamment en ce qui concerne leur vérification et l'esprit critique face aux discours en ligne.
Phénomène nouveau
Le phénomène n'est apparu que récemment sur le radar des enseignants et des sociologues, et l'on commence tout juste à le mesurer. La pandémie a accéléré la perception de ce qui s'avère être un véritable problème.
Car déjà aujourd'hui, cela peut représenter un véritable handicap social et professionnel. Et selon les prévisions, un emploi sur deux devrait être profondément transformé dans les années à venir par les usages numériques.
En Suisse, on estime qu'une personne sur dix est concernée par l'illectronisme. Des études menées en France notamment constatent que ce sont les plus de 75 ans, les personnes peu ou pas diplômées ou encore les ménages les plus modestes qui sont principalement touchés.
Les "digital natives" pas épargnés
Mais le phénomène peut aussi toucher les plus jeunes. Selon un récent rapport, un million et demi d'élèves en Californie n'ont pas de connexion internet adaptée à la maison, soit 25% des enfants scolarisés dans cet Etat américain qui accueille pourtant Google ou Facebook.
Par ailleurs, le mythe des "digital natives" a laissé croire que les jeunes étaient naturellement plus doués avec les outils numériques que les autres générations. Mais on confond souvent usage et maîtrise des outils numériques.
Or, l'un ne va pas forcément avec l'autre. Paradoxalement, certains jeunes, pourtant nés avec ces nouvelles technologies et très à l'aise avec les réseaux sociaux ou certaines applications spécifiques, se trouvent parfois désemparés dès lors que l'utilisation devient moins ludique.
Autrement dit, alors que les élèves savent presque tous jouer en ligne ou poster des photos sur Instagram, l'usage des outils bureautiques, Word, Excel voire même l'usage d'une boîte mail, est parfois totalement hors de portée. Par ailleurs, ils ont parfois du mal à faire le tri dans le flux d'informations auxquelles ils sont exposés.
Mettre l'accent sur la formation des enseignants
Pour Julien Bugmann, docteur en sciences de l'éducation et professeur à la HEP Vaud, au sein de l'unité d'enseignement et de recherche Médias, usages numériques et didactique de l'informatique, "on a été un peu pris de court par tout ce numérique qui est entré dans notre quotidien, et désormais la formation à l'école est capitale".
Selon lui, ce qui explique peut-être un peu ce décalage, c'est que jusqu'à présent "on a beaucoup axé sur les usages, et pas assez sur la compréhension réelle des outils" et des algorithmes.
Recherches autour de la "citoyenneté numérique"
Il faudrait également mettre l'accent sur l'apprentissage du code, ce qui sera le cas dans les écoles romandes, mais aussi sur la sensibilisation à une nouvelle "citoyenneté numérique", afin de mieux faire comprendre aux jeunes les enjeux auxquels ils seront confrontés.
Les chercheurs préconisent également de privilégier les solutions en faveur d'une meilleure éducation aux compétences de base afin de favoriser la confiance en soi vis-à-vis des supports numériques. La simplification et l'ergonomie des outils sont également des pistes importantes.
Du côté de la recherche, des projets sont en cours. Un projet pilote est mené dans le canton de Vaud pour une éducation numérique de tous les enseignants. Selon Julien Bugmann, la Suisse est plutôt bonne élève en la matière en comparaison internationale.
Sujet radio: Jérome Zimmerman avec Aurélie Cuttat
Texte web: Pierrik Jordan
De nombreuses familles manquent des équipements nécessaires
Concernant l'accès aux équipements informatiques, en Suisse, 9 ménages sur 10 ont accès à internet. Mais durant le premier confinement, les demandes ont été nombreuses pour des prêts de matériel afin de concilier l'école à distance et le télétravail. Contactés par la RTS, les différents départements romands de l’Instruction publique ont tous évoqué une demande en matériel plus ou moins importante de la part des familles.
Dans le Jura, 200 foyers ont eu besoin de matériel. A Neuchâtel, on évoque environ 5% des élèves qui n’avaient probablement aucun moyen technique pour travailler à distance.
A Genève, on estime qu’il y avait 1000 élèves du primaire et 1000 dans les écoles secondaires 1 et 2 qui avaient besoin de matériel, ce qui correspond à 3% environ des effectifs.
Enfin, le canton de Vaud a fait plusieurs enquêtes pour mesurer les effets du confinement sur l’enseignement. Il en ressort que le décrochage scolaire a été limité à une moyenne de 5%, lié essentiellement au manque de motivation, loin devant les difficultés familiales ou le manque d’équipement informatique.
Les cantons et les écoles cherchent désormais à s'adapter et à tirer les enseignements de la crise du printemps dernier, mais certains facteurs sont difficiles à anticiper. L'accès au matériel est un véritable enjeu majeur. Julien Bugmann a par exemple mesuré dans une étude le réel avantage procuré par l’usage des tablettes tactiles pour les élèves en difficulté.