Swisstxt: Accorder la nationalité suisse c'est octroyer
le droit de cité. Ce n'est quand-même pas banal. Le peuple n'a-t-il
pas son mot à dire?
Jacques Neirynck: Le peuple suisse a toujours
eu son mot à dire. La naturalisation est une décision qui se prend
en trois fois: par la Confédération, par le canton et par la
commune; à chaque fois, ce sont des organes élus démocratiquement
par le peuple. Nous sommes dans une démocratie élective, où un
certain nombre de décisions sont prises par des organes élus ou des
administrations que ces organes contrôlent. Le peuple a donc tout à
dire.
Coupée de la réalité, une administration connaît forcément
moins bien les candidats à la naturalisation que les habitants de
la commune.
Les habitants de la commune sont de toute façon appelés à se
prononcer. En tant que membre du Conseil communal d'Ecublens - élu
par le peuple de cette commune - je vote régulièrement pour
accepter ou refuser des candidats.
Des candidats que vous ne connaissez pas, la plupart du
temps.
Le Conseil communal les connaît sur la base d'un résumé et d'un
rapport établi par une commission ad hoc, qui a fait passer un
entretien au candidat. Cette commission en sait bien plus sur ce
dernier que son voisinage. Les gens qui ont étudié un dossier, pris
la peine de discuter avec le candidat, en connaissent infiniment
plus que les personnes qui habitent simplement dans la même
commune. A fortiori dans les grandes communes et les villes.
Vous ne contestez pas le fait que la naturalisation n'est
pas qu'une simple décision administrative, mais un acte éminemment
politique.
Il y a les deux à la fois. C'est un acte administratif en ce sens
que l'administration doit vérifier que toutes les conditions soient
remplies (la durée du séjour et l'absence de condamnations
notamment). A côté de ce travail nécessaire, que seule
l'administration peut faire, il y a la décision politique. Elle est
prise en règle générale par une commission ad hoc du conseil
communal.
En 2007, 45'000 personnes ont obtenu la nationalité
suisse. Cela paraît beaucoup...
En réalité c'est dérisoire. Selon l'UDC, nous naturalisons
beaucoup plus qu'ailleurs. Mais seulement en chiffres absolus,
parce que nous avons une population étrangère de 21%. Par rapport à
la population générale, nous naturalisons donc forcément beaucoup
plus que l'Italie, par exemple, qui compte très peu d'étrangers sur
son sol. Cependant, lorsqu'on rapporte le nombre de naturalisations
au nombre d'étrangers, nous naturalisons bien moins que la plupart
des autres pays. Ainsi, il faut mettre en rapport ces 45'000
naturalisés avec les 850'000 autres personnes qui pourraient
l'être.
Si ces 850'000 personnes remplissent les conditions pour
être naturalisées. Pourquoi n'en font-elles pas la
demande?
Parce que c'est tellement aléatoire justement. J'ai attendu 12 ans
avant d'introduire une demande de naturalisation. Et ce n'est qu'à
la troisième tentative que j'ai obtenu le passeport suisse, après
24 ans d'attente au total. J'étais fonctionnaire fédéral, je
parlais parfaitement le français. On me reprochait de trop
m'exprimer à la radio et la télévision, d'être trop intégré en
somme. La preuve que j'étais parfaitement intégré : trois ans après
avoir été naturalisé, j'ai été élu triomphalement au Conseil
national (en 1999, ndlr). Non, on ne peut vraiment pas dire que la
Suisse naturalise à tour de bras...
Comment expliquez-vous que les jeunes naturalisés sont
surreprésentés dans les statistiques de la délinquance ou de l'aide
sociale?
Il y aurait des gens d'une certaine origine qui seraient plus
criminels que d'autres. De deux choses l'une: soit ils étaient
criminels avant leur naturalisation et dans ce cas-là c'est le
Département de justice et police, contrôlé par un UDC, qui a mal
fait son travail; soit il suffit que ces jeunes soient naturalisés
pour qu'ils deviennent criminels. Et là on nage en plein conte de
fée. En Suisse, la moitié des enfants ont un parent étranger. Alors
forcément, le quart des délinquants seront des étrangers. En les
maintenant au ban de la société en leur refusant le passeport
rouge, on en fait des êtres asociaux. Si on les naturalisait le
jour de leurs 18 ans - et, soit dit en passant, si on les collait
au service militaire - peut-être que les choses changeraient.
Mais les Suisses se sont déjà prononcés trois fois contre
les naturalisations facilitées.
Le peuple a refusé de faciliter les naturalisations pour la
troisième génération. Et c'est bien la raison pour laquelle la
Suisse compte tellement d'étrangers! Beaucoup d'"étrangers" n'ont
jamais vécu dans leur pays d'origine, ne parlent pas la langue de
leur grands-parents, ont fait leurs études ici, travaillent ici,
... Et pour je ne sais quelles raisons, on prétend qu'ils ne sont
pas suisses.
Le premier sondage gfs donne l'initiative UDC gagnante à
48%.
Comment convaincre les indécis?
J'ai envie de leur dire que, quand bien même cette initiative
passerait, elle ne pourrait être appliquée car elle est contraire
au droit international. En supprimant le principe du droit de
recours, les initiants se sont mis hors jeu. Le texte suppose
également que le droit communal prime sur le droit cantonal, qui
primerait sur le droit fédéral. Inapplicable, cette initiative sera
inappliquée.
Propos recueillis par Rachel Antille
Les enjeux
Les naturalisations par les urnes pourraient de nouveau avoir droit de cité. Se posant en championne de l'identité nationale et de la souveraineté populaire, l'UDC espère rétablir la pratique mise hors-la-loi par le TF. Les Suisses auront le dernier mot le 1er juin.
Ni les arguments juridiques ni le fait que les votes populaires sur l'octroi de la nationalité étaient connus de moins de 5% des communes, toutes alémaniques, n'infléchissent le parti. Il en appelle une nouvelle fois au peuple pour imposer ses vues en matière de démocratie et de politique des étrangers.
Par son initiative «pour des naturalisations démocratiques», l'UDC veut donner le pouvoir aux citoyens de choisir l'organe compétent au niveau de la commune: peuple, législatif, exécutif ou encore commission de naturalisation.
Pour garantir que cet organe garde la haute main sur la procédure, l'UDC compte par ailleurs inscrire dans la Constitution que ses décisions sont définitives. Pas question donc de justifier ou de contester un refus.
L'initiative est née en 2003. Se prononçant sur l'affaire «des recalés d'Emmen (LU)», qui portaient tous un nom à consonance balkanique, le Tribunal fédéral a alors déclaré les naturalisations par les urnes anticonstitutionnelles. Ce procédé, qui empêche de motiver un rejet, risque d'aboutir à des décisions arbitraires et discriminatoires. Ce que le droit interdit.
Pour corriger le tir, le Parlement a révisé la loi sur la nationalité. Adoptées en décembre, les nouvelles dispositions législatives posent des garde-fous: publication uniquement d'informations sur le candidat ne relevant pas de la sphère privée (donc pas la religion), obligation de motiver et possibilité de recourir contre un rejet déjà au niveau cantonal.
Ce contre-projet au texte de l'UDC a les faveurs du Conseil fédéral, de la gauche et de la majorité du PRD et du PDC. En plus du respect des principes ancrés dans le droit suisse et international, ils font valoir que la naturalisation est déjà soumise à de nombreux critères et que l'initiative n'apporte rien, notamment en termes d'exigence d'intégration.
L'UDC ne bénéficie du soutien que de quelques bourgeois. Mais les opposants ne parlent pas d'une seule voix et le premier sondage sur les intentions de vote, publié le 25 avril dernier, laisse présager une majorité en faveur de l'initiative.
Le scénario de 2004 pourrait donc se répéter: unique formation à prôner le «non», l'UDC avait persuadé à l'époque une majorité de torpiller la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers de la 2e génération ainsi que l'octroi automatique du passeport pour ceux de la 3e génération.