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Le système hospitalier n'a pas de marge pour affronter les crises sanitaires

L'invité de La Matinale (vidéo) - Pierre-Yves Donzé, professeur d’histoire économique
L'invité de La Matinale (vidéo) - Pierre-Yves Donzé, professeur d’histoire économique / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 10 min. / le 12 janvier 2021
Depuis un an, la pandémie de Covid-19 a mis en exergue les forces et les faiblesses du système hospitalier suisse, parmi lesquelles la crainte d'une pénurie de lits en soins intensifs ou encore le manque de respirateurs artificiels en début de crise.

Cette situation est le fruit des réorganisations hospitalières qui ont eu lieu dans les années 1990-2000 en Suisse pour contenir l'explosion des coûts de la santé, explique Pierre-Yves Donzé, professeur d'histoire économique à l'Université d'Osaka au micro de La Matinale.

Du taylorisme au toyotisme

"A l'époque, nous nous sommes concentrés sur le regroupement des soins aigus dans quelques unités hospitalières. Le but était de faire face aux besoins de santé publique d'une population en temps normal à flux tendu, mais rien n'était prévu pour les pandémies ou les épidémies", explique le Jurassien, soulignant toutefois la difficulté de mettre en place une infrastructure hospitalière pour quelque chose dont on ne connaît pas la forme.

Le système hospitalier helvétique est donc passé de 45'000 à 37'000 lits dans une perspective "toyotiste" des soins, c'est-à-dire la lutte contre tout ce qui est gaspillage, qu'il soit de temps, d'équipement, de salaire ou de main-d'oeuvre.

"Tout ça est prévu pour une période normale. Ce système ne correspond plus aux besoins lorsqu'une situation anormale apparaît. On n'a pas de marge de manoeuvre dans ce système", développe l'auteur de "Histoire des politiques hospitalières en Suisse romande".

Mais peut-on imputer à cette baisse du nombre de lits une baisse de la qualité des soins et de la réponse à ce type de pandémie? "Ce n'est pas le nombre de lits qui est important, mais plutôt le plateau médico-technique. Ces équipements ont été réduits au minimum dans ce contexte de flux tendu qui s'explique par la volonté de rationnaliser les coûts. Ce n'est pas une obsession d'économiste ou de politicien de droite, il y avait un problème financier qui devenait ingérable", précise Pierre-Yves Donzé.

"On a oublié qu'il y a des épidémies"

La pandémie de grippe espagnole, en 1918, est parfois utilisée pour comparer la crise actuelle dans les établissements de soins en Suisse. Toutefois la comparaison est "un peu facile", selon le Jurassien, qui rappelle qu'à cette époque les hôpitaux avaient déjà des infrastructures provisoires installées pour faire face aux besoins de l'armée, mobilisée en raison de la Première Guerre mondiale.

Pierre-Yves Donzé pense que la meilleure comparaison est la pandémie de tuberculose: "C'est une épidémie qui a duré un demi-siècle et pour laquelle on a développé des réseaux de sanatorium pour accueillir des masses de malades et des équipements qui nécessitaient des technologies importantes. Avec le développement des antibiotiques et des vaccins, dans les années 1950, on a complètement oublié le fait qu'il y a parfois des épidémies dans nos sociétés et qu'il faudrait peut-être y réfléchir lorsque l'on bâtit des planifications hospitalières".

Miser sur les vaccins

Une question reste en suspens: la crise sanitaire actuelle peut-elle marquer un changement dans notre infrastructure hospitalière? "Tout dépendra de la durée. Mais je crois qu'on porte plutôt l'attention sur le développement de vaccins, que sur la croissance hospitalière elle-même", conclut-il.

Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Jérémie Favre

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