Il s’appelle Stelio, il a 40 ans. Il a choisi de devenir assistant de sécurité publique, à savoir des personnes qui font notamment la circulation routière ou qui aident les équipes d’intervention.
Après une formation théorique de deux mois à l’Académie de police de Savatan - qui forme les policiers municipaux et cantonaux pour Vaud, Genève et le Valais - il a commencé sa formation pratique à la police de Lausanne.
Il dit avoir tout de suite senti une ambiance pesante, en particulier avec son formateur.
Une pression quotidienne
"Dès le premier jour, j’ai entendu quelqu’un qui me bassinait à longueur de journée contre les 'erreurs de sélection continuelles', 'les erreurs de casting'. Une personne qui n'hésite pas à prendre la liste de présence du jour et qui va vous dire 'alors lui, c’est un menteur, lui, il ne sait pas travailler, lui, n’écoute pas ce qu'il dit'."
Les petits surnoms fusent. Dans ce service de 80 personnes, il sent que certains collègues le regardent de travers. "Je me suis dis que j'étais le petit nouveau."
"Ce n’est pas toujours agréable quand on commence dans un emploi d’être traité comme une remorque: 'alors aujourd’hui, je te donne la remorque parce que je n’ai pas que ça à faire'", raconte Stelio.
Vous vous rendez compte que plus personne ne vous dit bonjour. Vous rasez les murs. Vous ne savez plus avec qui aller manger à la cafét'
Puis, il y a les attaques sur la famille. Les remarques s'intensifient. "Après les trois premiers mois, c’est déjà très intense d’aller travailler. Et vous vous rendez compte que plus personne ne vous dit bonjour. Vous rasez les murs. Vous ne savez plus avec qui aller manger à la cafét'… vous ne savez plus!", relève-t-il.
"Et je pense que pour pouvoir fonctionner en rue, on ne peut pas se permettre de fonctionner dans un état mental comme ça". Isolement, moqueries, actes répétés… Ce qu’il décrit correspond à la définition du mobbing, donnée par le Secrétariat d’Etat à l’Economie.
Stelio est en arrêt maladie depuis plus d'un an.
Je suis dans le regret de confirmer que ce n’est malheureusement pas un cas isolé
Son cas serait loin d’être isolé, selon certains observateurs. "Dans le cadre de mon exercice professionnel, je suis dans le regret de confirmer que ce n’est pas un cas isolé malheureusement, et cela ne date pas d’hier", affirme Noelia Miguel, psychologue d’urgence. Dans son cabinet, elle reçoit notamment des personnes qui travaillent à la police.
"On ne peut plus dire que c’est une personne qui a posé un problème", constate-t-elle, faisant état de "nombreuses victimes". "C'est un phénomène qui est très fréquent à la police. Avec des mouvements comme #MeToo, on a commencé à parler du harcèlement et du mobbing. On en a fait une réalité", décrit la spécialiste.
Mais la police reste l'une des seules institutions où on a encore de la difficulté à en parler, à le mettre en lumière de manière officielle, formelle, avec un vrai traitement.
Pas d'issue
Noelia Miguel évoque des personnes "détruites par la police, pour toujours". Stelio, lui, dit avoir eu des collègues bienveillants, mais sans que cela suffise.
"On arrive à un stade où ce n’est plus supportable. On va se plaindre au-dessus, en disant 'je n’en peux plus. Stop, j’aimerais qu’on me laisse travailler'. Et je suis sorti de là-bas avec le sentiment d'avoir été entendu", raconte Stelio.
"Le problème, c'est que ce supérieur hiérarchique a tout renvoyé au niveau au-dessous. Et le retour de manivelle était extrême: en m’interdisant de recommencer, en m’interdisant d’aller parler ailleurs, [en me disant] que seul mon supérieur direct était mon chef."
Pas plus de cas, selon la police
Stelio dit avoir épuisé toutes les voies internes pour se plaindre, sans succès. Il a donc saisi la justice. Et prépare un album: la seule manière pour lui de "vider son sac", c’est de faire de la musique, affirme-t-il.
La police lausannoise affirme ne pas constater davantage de cas de mobbing. Elle explique que les personnes engagées sont tout de suite informées de l'existence de la cellule Arc, qui est chargée d'aide à la résolution des conflits pour le personnel de la Ville.
La police indique donc que des solutions existent, mais qu'il faut évidemment que les cas soient signalés.
Les procédures existent
Conseiller municipal lausannois en charge de la sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand rappelle que trois procédures différentes ont été mises en place pour permettre de traiter les cas de mobbing.
"La police fonctionne avec un esprit de corps, ce qui permet aux policiers de se soutenir, car ils connaissent des expériences semblables. Ils ont des rythmes de vie compliqués, avec du travail de nuit. Il y a des souffrances au contact des victimes", expose-t-il.
Cet esprit de corps est positif, car les gens se soutiennent, fait-il valoir. "Mais parfois, il a des aspects plus compliqués, car on peut être pris dans des tensions de fidélité. Nous sommes là pour les victimes, mais nous devons entendre toutes les parties", souligne l'élu PLR.
Pas de chiffres pour la police
Pourtant, il est difficile d'y voir clair: la cellule Arc répertorie les cas signalés sans faire de distinction entre les différents services de la Ville. On ne peut donc pas savoir quels chiffres concernent la police.
Tous les services de la Ville confondus, 80% des conflits évoqués s’inscrivent dans un lien hiérarchique. A noter également un boom des cas de harcèlement psychologique, passés de 13% des situations traitées par la cellule Arc en 2018, à 32% en 2019.
Sujet radio: Pauline Rappaz
Adaptation web: Pascal Wassmer
Une formation plus longue?
Certains observateurs des milieux policiers estiment qu'il est plus difficile de briser le silence au sein de la police que dans d'autres professions.
Frédéric Maillard, analyste de pratiques policières, l'explique par plusieurs facteurs. D'une part, les systèmes d’organisation policiers sont étanches et très hiérarchisés.
D'autre part, pour un policier - qui détient des pouvoirs exceptionnels – il est déstabilisant d'être soi-même victime, et de devoir déposer plainte auprès de ses propres collègues.
Mais les choses peuvent être améliorées, notamment en créant des organes de régulation, neutres, pluridisciplinaires et indépendants qui puisse traiter les cas de harcèlement.
"La question de la formation, d'une durée de deux ans actuellement, mériterait d'être doublée dans son programme. Il est d'ailleurs paradoxal de constater que cette profession de policier - complexe et polyvalente -, qui est dotée des plus grands pouvoirs publics, des pouvoirs de coercition, est alimentée par une des formations les plus faibles du pays en termes de durée."