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L'industrie musicale touchée de plein fouet par le sexisme

60% des femmes en Europe ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail. L'industrie musicale ne fait pas exception. [Keystone - Christian Beutler]
Le sexisme qui prévaut dans l’industrie musicale romande / Le 12h30 / 3 min. / le 10 février 2021
Remarques obscènes, gestes déplacés, propositions professionnelles en échange de faveurs sexuelles: des musiciennes témoignent du sexisme qui prévaut dans cette industrie réputée progressiste.

L'Association suisse des métiers de la scène a récemment mené une enquête auprès de ses membres: 80% des personnes interrogées ont subi au moins une agression sexuelle au cours des deux dernières années. Et plus de deux tiers des cas concernent des femmes.

Il n'y a pas de chiffres suisses qui concernent la musique: ni sur les violences sexistes, ni sur la représentation des femmes. Ce manque de données interroge, d'ailleurs.

Une évolution lente

Mais on imagine que la situation dans ce secteur est similaire aux autres. Une étude de l'Observatoire européen du sexisme a montré que 60% des femmes en Europe ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail.

Les musiciennes Camille et Julie Berthollet avaient témoigné, pour dire que la musique classique n'est pas épargnée. Elles ont raconté les mains baladeuses, les regards insistants, ce chef d'orchestre qui était venu renifler leur cou "pour voir quelle odeur ont les rousses."

Aujourd'hui, Julie Berthollet s'étonne d'une situation qui évolue très lentement: "Je trouve fou que dans une société où il y a eu tellement d'avancées technologiques, l'égalité reste un problème qui n'est pas réglé".

"Les femmes n'ont commencé à pouvoir entrer dans les orchestres qu'à partir du moment où il y a eu les auditions derrière paravent. C'est-à-dire que le jury ne savait pas qui jouait, si c'était un homme ou une femme. C'est très récent", explique la musicienne.

Un univers particulier

Toutes les interlocutrices de la RTS constatent un sexisme ambiant ainsi qu'un manque de représentation des femmes sur scène et en coulisses.

L'industrie de la musique est un terreau fertile pour la discrimination et le harcèlement, selon Albane Schlechten, directrice de la Fondation romande pour la Chanson et les Musiques Actuelles.

Elle évoque trois raisons principales: des horaires déconnectés qui favorisent l'isolement et la perte de repère. La vie de la musique mélange l'amitié, le travail et la fête. "Et puis, c'est une industrie où il y a encore énormément d'hommes dans les postes à responsabilité, notamment les postes de programmation, d'agence, de production".

Des instruments genrés

La musicienne Sandor pointe les inégalités salariales, mais aussi les compétences les plus valorisées: "J'ai toujours été, aux yeux des hommes, plus valorisée par mes compétences de guitariste - c'est-à-dire l'aspect plus technique - que par mes compétences de compositrice et chanteuse. Quand des gens viennent dire 'ouah, tu joues bien pour une fille!', ou, pire, 'ouah, une fille avec une guitare électrique, mais bravo, c'est rare'."

Julie Berthollet relève aussi que le choix des instruments est très genré: les garçons sont rares dans les classes de flûte et les filles sont peu nombreuses dans les classes de contrebasse. Mais les choses évoluent, notamment grâce à des associations comme Helvetiarockt, qui promeuvent la présence des femmes dans la musique. Toutefois, selon les interlocutrices de la RTS, ce changement reste trop lent.

Un problème structurel

"Il faut déjà briser le tabou, reconnaître qu'il s'agit d'un milieu dans lequel il y a énormément de harcèlement sexuel", affirme Albane Schlechten. "C'est un constat, c'est structurel. On n'est pas forcément là pour dire 'c'est untel, untel, untel', mais on remet en question notre milieu et puis ensuite on trouve des manières de répondre à cet enjeu-là."

Pour les interlocutrices de la RTS, il faut aussi plus parler du sexisme dans les écoles et entendre les personnes qui le dénoncent. Et pourquoi pas, instaurer des quotas.

Pauline Rappaz

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