Trois jours après l'accident de Fukushima, la conseillère fédérale Doris Leuthard, alors en charge de l'énergie, suspendait les projets de nouvelles centrales. En mai, le Conseil fédéral entérinait le principe de la sortie du nucléaire, avant que le peuple approuve en 2017 la stratégie énergétique 2050, et que la première centrale, Mühleberg (BE), ferme en 2019.
>> Lire aussi : Les travaux de démantèlement de Mühleberg se déroulent comme prévu
Au vu des défis énergétiques qu'impliquent ces décisions, la prise du nucléaire a-t-elle été tirée trop vite? Sur place à Fukushima une année après la catastrophe pour un projet de recherche, le président de l'EPFL Martin Vetterli se montre partagé. "L'industrie du nucléaire mériterait d'être plus transparente, parce que dans les pays démocratiques, il y aura une décision démocratique autour de l'énergie nucléaire, et pour cela la transparence est absolument nécessaire", affirme-t-il dans La Matinale mardi.
Réflexion à pousser
Pour le scientifique pourtant, la Suisse n'est pas allée au bout de la réflexion. "Avec quatre centrales dans le pays qui produisent 38% de notre électricité, quelles sont les vraies alternatives au nucléaire pour produire des énergies vertes?", s'interroge-t-il.
>> Lire aussi : La Suisse peut atteindre la neutralité climatique d'ici 2050
Les solutions d'achat d'énergie à des pays producteurs notamment d'énergie nucléaire ou issue du charbon, comme la Pologne ou l'Allemagne, sont en effet des "solutions hypocrites", selon Martin Vetterli. D'autant plus que cette dernière vient d'annoncer la fermeture de ses six centrales nucléaires d'ici 2022. "L'Allemagne n'a pas de quoi remplacer cette production en l'état. Le remplacement viendra très certainement du charbon", déplore l'ingénieur.
Le nucléaire a-t-il donc encore de l'avenir? "Du point de vue de l'urgence climatique, et au vu des pays émergents qui ont besoin d'accès à une énergie propre en CO2, le nucléaire est une alternative. Dans les pays démocratiques de l'Ouest, le nucléaire n'a pas bonne presse, mais en Chine, par exemple, l'énergie nucléaire est en pleine expansion pour remplacer le charbon - qui reste LE grand pollueur au niveau du CO2. Il est donc possible qu'on doive un jour acheter de l'énergie venant de réacteurs nucléaires chinois, ou qu'on doive installer des réacteurs chinois", note Martin Vetterli.
Nécessité de taxer le carbone
La science énergétique va-t-elle assez vite pour suivre le réchauffement climatique? "Les progrès sont là, mais les investissements sont souvent tels que le société n'est pas prête à les faire", remarque Martin Vetterli. "Et tant qu'il n'y aura pas une taxe sur le carbone qui rend les énergies vertes hyper-compétitives, la transformation de l'économie n'aura pas lieu. La Suisse avance dans le bon sens, mais sans avoir exploré suffisamment."
La neutralité carbone de la Suisse est également difficile sans avoir recours au "colonialisme écologique" - comme planter des forêts à l'autre bout de la planète pour faire de la compensation carbone, souligne-t-il encore.
Pour le scientifique, la votation du 13 juin sur la loi sur le CO2 pose ainsi une question fondamentale: "est-on prêt à changer les mécanismes économiques afin que le prix du CO2 soit un vrai prix, qui fasse changer le fonctionnement de l'économie?"
>> Lire : Le référendum ayant abouti, la Suisse votera le 13 juin sur la loi Covid-19
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Katharina Kubicek