Berne, le 2 mars 2020. Quatorze jours avant l'entrée dans le droit d'urgence, la session parlementaire commence, comme d'habitude, ou presque. La Suisse vient d'être touchée par ses premiers cas de coronavirus. Certains parlementaires se familiarisent avec les gestes barrières en se saluant avec le coude, tandis que d'autres s'échangent la traditionnelle triple bise.
"Il était évident qu'il fallait maintenir la session et que nous devons faire notre devoir", affirme la présidente du Conseil national Isabelle Moret.
L'ambiance reste bon enfant. La seule à porter un masque, la conseillère national UDC grisonne Magdalena Martullo-Blocher, se fait rabrouer par la présidente. "Elle m'a dit que je perturbe la session. Je ne comprends pas, je reste tranquillement à ma place et je vote", rapporte-t-elle au 19h30.
La pression monte
Trois jours plus tard, la Suisse enregistre son premier mort du coronavirus. La situation devient sérieuse.
Lundi 9 mars, deuxième semaine de session. Le Parlement décide de maintenir ses activités malgré l'augmentation des infections. Très inquiète, l'UDC proteste: "Nous sommes assis les uns à côté des autres, nous pourrions nous infecter. Pas juste entre nous, mais nous pourrions aussi mettre en danger des personnes âgées", plaider Thomas Aeschi, le chef du groupe parlementaire UDC.
Le lendemain, la pression monte sur l'état-major d'Alain Berset. Le Tessin réclame la fermeture des frontières avec l'Italie. Un jour plus tard, le 11 mars, le canton décide de fermer ses écoles.
Le point de bascule
Le 12 mars, au Parlement, la situation devient très délicate. Mais les présidents de partis serrent les rangs derrière le gouvernement. "Il faut faire confiance aux autorités, au Conseil fédéral", affirme le président du PDC Gerhard Pfister. "J'ai une pleine confiance dans les autorités sanitaires, dans le Conseil fédéral", ajoute Christian Levrat, le président du PS.
Vendredi 13 mars, après une très longue réunion, cinq conseillers fédéraux arrivent au point presse avec une annonce qui va faire prendre conscience du sérieux de la situation: "Le Conseil fédéral a décidé d'interdire les enseignements avec la présence des élèves dans les écoles", annonce Alain Berset.
>> Relire le compte-rendu de cette journée du 13 mars : Ecoles fermées, réunions de plus de 100 personnes interdites: la Suisse durcit ses mesures
Le point de bascule est déclenché. Deux jours plus tard, le dimanche 15 mars, le Parlement décide d'interrompre la session. Le soir même, le Conseil fédéral se retrouve pour une réunion extraordinaire de crise. Il décide l'état d'urgence. Le lundi 16 mars, la Suisse a définitivement basculé dans la crise.
Une journée historique
Ce lundi 16 mars, alors que la Suisse compte déjà une trentaine de morts du coronavirus, le Conseil fédéral tient une séance extraordinaire. Trois jours plus tôt, il a décidé de fermer les écoles et de limiter drastiquement les manifestations privées ou publiques. Mais face à la croissance exponentielle du nombre de cas, cela ne suffit pas, estime le gouvernement.
Après une séance interminable, Il est un peu plus de 17h quand quatre des sept ministres se présentent devant la presse pour annoncer l’impensable: le gouvernement va prendre le pouvoir. "Le Conseil fédéral a décidé qu’il était aujourd'hui temps de mettre en oeuvre la situation extraordinaire conformément à l’article 7 de la loi sur les épidémies", affirme Alain Berset. "Maintenant, une réaction forte s’impose dans tout le pays", ajoute la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga.
A partir de minuit ce jour-là, la vie ne sera plus tout à fait la même. En quelques heures, le pays va se cadenasser, les magasins tirent le rideau, les restaurants ferment, les théâtres, les musées, les patinoires et tous les autres lieux de loisirs aussi. Le Parlement va arrêter ses travaux. Le peuple, lui, est étouffé et la pauvreté cachée dévoile son visage au grand jour. L’armée entre en scène et plus de 8000 soldats sont mobilisés.
"Je voulais être là pour tout le monde dans ce pays"
Comment le Conseil fédéral a-t-il vécu ces heures? "On est conscient que c’est quelque chose de totalement inédit dans l’histoire du pays. Mais il faut le faire. Il ne faut pas trembler", se souvient le ministre de la Santé Alain Berset. "Je savais très bien qu’on privait les soldats de leur famille, qu’on les retirait de l’économie", se remémore quant à elle la cheffe du DDPS Viola Amherd.
Interrogé dans le 19h30 un an plus tard, Simonetta Sommaruga se souvient avoir "senti que c'était un moment historique, parce qu'il fallait agir immédiatement. C'est ainsi avec une pandémie. En même temps, j'étais consciente qu'avec nos décisions, la vie de tout le monde dans notre pays allait changer très vite à partir de minuit ce lundi-là".
Et la Bernoise d'ajouter: "Je voulais être là, comme présidente de la Confédération, vraiment être là pour tout le monde dans ce pays."
>> Lire aussi : Il y a un an, Simonetta Sommaruga a "senti que c'était un moment historique"
Aujourd’hui, un an plus tard, le pays a retrouvé une partie de ses libertés. Mais les dégâts sont inestimables. La jeunesse est en souffrance, les vaccins arrivent au compte-goutte, l’économie a été malmenée et le décompte macabre a dépassé les 9000 morts.
>> Retour sur la journée hors du commun du 16 mars : La Suisse en état de "situation extraordinaire" jusqu'au 19 avril