Alain Berset: "Nous étions loin d'imaginer que cette pandémie durerait aussi longtemps"
L'ANNÉE ÉCOULÉE
"Nous étions loin d'imaginer que cela durerait aussi longtemps, reconnaît le conseiller fédéral en charge de la Santé Alain Berset lundi dans La Matinale. Les spécialistes nous disaient déjà que cela serait très long, mais nous avions de la peine à accepter cette réalité. Il a fallu s'y faire et avancer."
Le vendredi 13 mars 2020, jour de la décision de fermer les écoles à partir du lundi suivant, la Suisse comptait 1125 cas de coronavirus et onze décès. Le pays avait enregistré son premier cas le 25 février et son premier décès le 5 mars. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déclaré que le coronavirus était désormais une pandémie le 11 mars.
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Le lundi 16 mars, le gouvernement plaçait alors le pays en état de "situation extraordinaire" au sens de la loi sur les épidémies, alors que le bilan avait grimpé à plus de 2300 personnes infectées et une vingtaine de décès en un week-end. Il prenait les commandes, sans passer par le Parlement. Depuis un an, la pandémie lui "prend tout son temps et toute son énergie", reconnaît Alain Berset.
Le ministre de la Santé défend la stratégie du Conseil fédéral qui consiste à éviter un confinement strict de la population et un couvre-feu: "Nous avons essayé de trouver la stratégie qui créerait pour l'ensemble de la société, dans toutes ses facettes, le moins de dégâts possible. L'option du "zéro décès" était inimaginable pour un pays aussi ouvert que la Suisse, posé au coeur du continent européen."
Il juge que le "chemin" choisi "a pas mal marché jusqu'ici", même s'il reconnaît des "conséquences massives" pour toute la société.
LES CRITIQUES
"Il y a une année, le Conseil fédéral a été fortement soutenu et encensé. Pour tout dire, c'était exagéré. C'était tout aussi exagéré que les critiques, cet automne, où tout à coup il n'y avait plus rien à garder dans notre stratégie."
Il y a une année, le Conseil fédéral a été fortement soutenu et encensé. Pour tout dire, c’était exagéré
Alain Berset revient sur les vives critiques qui entourent à chaque fois les décisions du Conseil fédéral: "Quand on regarde ce que nous avons réalisé, nous avons été conformes d'un bout à l'autre et à chaque seconde à la Constitution et aux lois de la Confédération. D'entendre tout à coup, pour des raisons politiques évidemment, que la Suisse est comparée à une dictature... Il faut savoir ce qu'est une dictature. Dans une dictature, ce ne serait pas possible d'avoir de telles critiques. Heureusement, quand on en a, c'est justement la preuve que nous ne sommes pas une dictature."
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Il explique à ce sujet que l'unité du Conseil fédéral "n'est pas une unité factice": "Nous sommes très unis aujourd'hui, car la situation actuelle exige énormément de nous toutes et tous. C'est toute la société qui doit faire bloc face à cette situation. (...) Prendre des décisions, c'est ce que nous faisons. La pression nous l'avons de tous les côtés. Le problème, c'est que ce n'est pas toujours la même (pression), mais c'est le même Conseil fédéral."
L'ANNÉE 2021
"C'est démoralisant. Nous essayons de nous en sortir et la pandémie finit toujours par nous rattraper", souligne le conseiller fédéral en évoquant l'excès d'optimisme après la première vague avec même l'option de permettre à nouveau les grandes manifestations à l'automne.
Il insiste sur le fait "qu'il n'y a pas de parade miracle" face à une pandémie: "Nous ne sommes pas dans un processus politique normal avec une gauche et une droite, des discussions et une prise de décision au rythme qui nous convient. Ce n'est juste pas comme cela que ça marche. Cela s'apparente plutôt à une catastrophe naturelle qui dure."
La situation s’apparente plutôt à une catastrophe naturelle qui dure
Si le Conseil fédéral desserre aujourd'hui les mesures, c'est "parce que les gens n'en peuvent plus", reconnaît Alain Berset. "Nous devons de nouveau trouver un équilibre. Si nous écoutions les épidémiologistes, ils nous diraient de ne pas rouvrir. Il faut être franc: nous avons commencé ces réouvertures, avec une discussion à la fin du mois de février, alors que les chiffres diminuaient, que tout s'améliorait encore et encore. (...) Nous essayons vraiment de donner des perspectives, mais c'est l'évolution de la pandémie qui décide."
Alain Berset estime que la situation est "différente d'il y a un an: "Aujourd'hui, il n'y a plus personne qui va s'infecter dans la rue ou chez soi sans savoir comment il aurait pu se protéger: distance, masque et hygiène. Certes on ouvre peut-être un peu vite, mais on va en rediscuter avec le Conseil fédéral. Avec la vaccination et les tests, on espère être plus optimistes."
LA VACCINATION
Alain Berset défend également la stratégie de vaccination de la Suisse: "Nous avons commandé 35 millions de doses de vaccin pour les prochains mois, dont une moitié environ jusqu'à l'été. Si ces commandes réalisées, avec une stratégie d'acquisition que je crois très efficace pour la Suisse, sont livrées et que les cantons sont en mesure de vacciner, alors oui, beaucoup de gens auront jusqu'à l'été un accès au vaccin."
Et d'ajouter: "Notre stratégie a conduit à ce que nous soyons très bien positionnés avec des volumes importants sur les deux vaccins qui sont les plus efficaces et qui ont été les plus rapidement sur le marché, alors qu'au moment de faire ce choix il y avait plus de 100 produits en développement dans le monde. C'est déjà une très bonne nouvelle."
Notre stratégie a conduit à ce que nous soyons très bien positionné avec des volumes importants sur les deux vaccins qui sont les plus efficaces et qui ont été les plus rapidement sur le marché
Souvent cité pour sa bonne stratégie de vaccination, Israël n'est pas nécessairement un exemple, selon le ministre de la Santé: "Pour pouvoir recevoir toutes les doses de la part d'une grande entreprise, d'ailleurs avec laquelle on travaille aussi, Israël a été d'accord de livrer la totalité des données de santé liées à la vaccination de toute la population pour faire un test grandeur nature dans le pays. Vous pensez vraiment une seconde que nous aurions pu avoir, en Suisse, une discussion pour livrer les données de santé de notre population à une entreprise américaine pour avoir accès à un vaccin… je ne le pense pas. Nous n'y avons même pas pensé."
Propos recueillis par Romaine Morard et Julien Bangerter
Adaptation web: Valentin Jordil