Au moins sept enfants ayant un ou les deux parents au bénéfice de la nationalité suisse seraient détenus, avec leurs mères radicalisées, dans le Nord de la Syrie, dans des camps contrôlés par les forces kurdes et où les conditions de vie sont précaires.
Dans les colonnes de 24 heures la semaine dernière, les pères genevois de deux filles mineures ont alerté - via leurs avocats - le Parlement. Ils considèrent que la Confédération n'agit pas assez pour les rapatrier.
Les deux enfants ont été enlevés par leur mère en 2016 pour rejoindre les rangs du groupe terroriste Etat islamique. Après la chute du califat, cette famille a été arrêtée par les forces kurdes.
Critiques rejetées
Le Département fédéral des affaires des étrangères (DFAE) rejette les critiques des pères. Sa Direction consulaire affirme suivre de près la situation de tous ces enfants de nationalité suisse. Le département a en effet été mandaté par des curatrices genevoise et vaudoise pour ramener, respectivement, les deux petites filles, ainsi qu'une troisième enfant née d'un couple lausannois.
"Nous avons fait en sorte que les pères puissent téléphoner régulièrement à leurs filles", explique Johannes Matyassy, directeur de la Division consulaire au DFAE.
Mais pour Olivier Peter, avocat des deux pères genevois, c'est insuffisant: "Au bout de cinq ans de séquestration dans un camp, on peut constater que si la Suisse voulait vraiment rapatrier ces enfants, elle aurait pu le faire. Aujourd'hui, ils sont toujours dans une zone de guerre, dans des conditions qui sont inacceptables. L'Etat doit donc les ramener sans tarder."
Priorité à la sécurité de la Suisse
Il faut dire que la situation est complexe. D'un côté, la mère ne veut pas laisser partir ses filles. Dans le même temps, les forces kurdes refusent de séparer les familles.
Le Conseil fédéral, lui, accepte le rapatriement d'enfants mais ne mène pas de retours proactifs d'adultes. D’ailleurs, la mère, étant considérée comme trop dangereuse pour la sécurité intérieure de la Suisse, a perdu sa double nationalité et ne peut plus entrer sur le territoire helvétique.
Priorité donc à la sécurité intérieure: "Imaginez-vous que, sur la base d'une certaine décision, on rapatrie la mère avec les enfants. Et, après un certain temps, la mère fait exploser une bombe dans un centre commercial à Genève ou à Lausanne. Je serais intéressé d'entendre les avocats alors qu'il y a peut-être 50 ou 100 morts", rapporte Johannes Matyassy.
Les avocats, eux, rappellent que cette femme est visée par une procédure pénale du Ministère public de la Confédération. "La Suisse a donc la possibilité de la juger mais elle préfère la laisser dans l’impunité", souligne Olivier Peter. L’avocat exige aujourd’hui de la Suisse qu'elle remette la priorité sur les intérêts des enfants et non sur la sécurité. Quitte à faire aussi revenir leur mère. "La position actuelle du Conseil fédéral est contraire au droit international et aux positions prises par d'autres Etat européens. Les droits de l'enfant sont beaucoup plus importants que d'autres intérêts", insiste Olivier Peter.
Convaincre la mère
La Confédération estime respecter ses obligations internationales et refuse de parler d'abandon de ces mineurs. Pour les rapatrier, Johannes Matyassy explore toujours la voie des bons offices, à savoir renforcer les liens entre les filles et leurs pères, ainsi que la poursuite des discussions avec la mère pour la convaincre de laisser partir ses enfants.
"En ce qui concerne l'aînée, elle va fêter ses 15 ans en avril (l'âge de la majorité selon les milices kurdes, ndlr). Elle pourra donc décider indépendamment si elle veut retourner en Suisse ou pas", précise le responsable.
Marc Menichini
Interview de Johannes Matyassy: Andreas Stüdli (SRF radio)