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Aucun lieu de pouvoir n’est paritaire, montre une recherche menée à l’UNIL

La grève féministe du 14 juin 2019 avait mobilisé des centaines de milliers de personnes. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
La grève féministe du 14 juin 2019 avait mobilisé des centaines de milliers de personnes. - [Keystone - Jean-Christophe Bott]
Une recherche menée à l’Observatoire des élites suisses de l’Université de Lausanne montre l’évolution des profils de celles et ceux qui mènent le pays. Le constat est sans appel : en 2020, aucune des sphères du pouvoir n’est paritaire.

Observer l’évolution du profil des élites en Suisse, c’est le travail que mènent des chercheurs et chercheuses de l’Université de Lausanne. Dans une base de données accessible en ligne, leurs résultats sont rendus disponibles au public. On peut y trouver plus de 40'000 profils biographiques, qui documentent notamment leur genre, leur origine sociale, leur nationalité, leur formation ou encore les différents mandats occupés.

Les membres de pouvoir des sphères économique, politique, administrative et aussi académique sont identifiés et étudiés (voir encadré) de 1890 à 2020. Pour cette année, les données viennent justement d’être actualisées. Cela permet de mettre en lumière des milieux qui s’ouvrent progressivement aux femmes, mais qui restent majoritairement masculins.

Avec seulement 15,1% de femmes en 2020, la sphère économique fait figure de mauvaise élève. Cela s’explique notamment par l’opacité relative des procédures de recrutement et les logiques de cooptation qu’elles impliquent. Ces deux facteurs poussent les dirigeants économiques à demeurer dans un entre-soi masculin.

Si les femmes sont plus présentes dans les milieux politiques (38,7%) et administratifs (30,2%), elles sont encore loin d’être aussi nombreuses que leurs homologues masculins, en particulier dans la haute administration fédérale.

Les femmes dans la sphère politique: une lente évolution

Au niveau fédéral, les Suissesses ne se sont vu accorder des droits politiques qu’en 1971. Cela explique leur absence avant 1980, premier temps d’observation de l’équipe de recherche. Depuis lors, on constate une augmentation qui n’est pas linéaire, car elle est en lien avec l’évolution du contexte politique.

On passe ainsi de 9,5% d'élues en 1980 à 22,9% en 2000, ce qui peut s’expliquer par la grève des femmes de 1991 et l’introduction de la Loi sur l’égalité qui a suivi. Un même bond s’observe entre 2015 (29,2%) et 2020 (38,7%), sans doute en lien avec la grève féministe du 14 juin 2019 qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans tout le pays.

>> Relire le minute par minute dédié à cette journée : Des centaines de milliers de femmes ont pris part à la grève nationale

La sphère économique: un bastion masculin

Les milieux économiques, qui sont actuellement les lieux de pouvoir les plus masculins, sont pourtant ceux qui ont "accueilli" la première femme en 1937. Son profil nous apprend beaucoup de l’histoire économique suisse, puisqu’il s’agit d’Else Selve-Wieland, épouse de Walther Selve. Le père de son mari, Gustav Selve, est le fondateur de Metallwerke Selve. Else descend elle-même d’une famille d’entrepreneurs concurrente des Selve.

Leur mariage et son accession à une fonction dirigeante de l’entreprise familiale s’expliquent en partie par la structure du secteur économique de l'époque, qualifiée par plusieurs historiens et historiennes de capitalisme familial. Cela désigne un contexte économique structuré par les "bonnes familles" et les relations qu’elles tissent les unes avec les autres.

Après Else Selve-Wieland, il faudra attendre 1980 pour retrouver des femmes dans les lieux de pouvoir économique, sans doute en lien avec leur accession à la citoyenneté politique. Mais ce n’est qu’à partir de 2000 que leur présence se fait plus marquée: 7,1% en 2000, 9,7% en 2010, 12,0% en 2015 et 15,1% en 2020.

>> Revoir le débat sur la féminisation des élites politiques à Forum :

Léonore Porchet, Céline Amaudruz, Stéphanie Ginalski et Anne Abriat. [Keystone/OBELIS/DR - Alessandro della Valle/Oleksandra Kunovska Mondoux]Keystone/OBELIS/DR - Alessandro della Valle/Oleksandra Kunovska Mondoux
Le grand débat - Comment féminiser nos élites économiques? / Forum / 22 min. / le 5 février 2021

La sphère administrative: évolution en lien avec la sphère politique

L’évolution de la présence des femmes dans la haute administration fédérale est en partie liée aux évolutions de la sphère politique, puisqu’elles n’y avaient pas accès avant 1971. Et comme pour le milieu politique, on observe un "bond" dans la présence des femmes en 2020 (22,05% en 2015 et 30,2% en 2020), sans doute ici aussi en lien avec la mobilisation féministe du 14 juin 2019.

>> Revoir le sujet du 19h30 sur les femmes occupant un poste de secrétaire d'Etat à Berne :

Quatre femmes occupent le poste de secrétaire d'Etat à Berne. Une stratégie assumée par la Confédération.
Quatre femmes occupent le poste de secrétaire d'Etat à Berne. Une stratégie assumée par la Confédération. / 19h30 / 2 min. / le 26 mars 2021

Anouk Essyad

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Sélection de l'échantillon

Pour chaque sphère, les universitaires ont sélectionné un échantillon restreint - qui correspond aux données de ce tableau - qu’ils ont davantage investigué. Ils ont aussi défini un échantillon plus complet, également disponible en ligne.

En ce qui concerne les élites politiques, le tableau ci-dessus comprend les membres du Parlement suisse et du Conseil fédéral. Outre ces personnes, les chercheurs et chercheuses ont également travaillé sur les profils des conseillers et conseillères d’Etat des 26 Cantons, des membres des exécutifs des quatre plus grandes villes suisses (Zurich, Berne, Genève et Lausanne) et des membres des comités centraux des principaux partis politiques.

L’échantillon des élites économiques regroupe les présidents du conseil d'administration et les directeurs généraux des 110 plus grandes entreprises suisses, ainsi que les membres des comités exécutifs des principales associations d'entreprises et des principaux syndicats. Les scientifiques ont également récolté des données sur les membres des conseils d’administration.

Enfin, pour les élites administratives, les personnes suivantes font partie de l’échantillon : les membres de la Chancellerie fédérale, les chefs administratifs des départements fédéraux, les directeurs de tous les offices fédéraux, les membres des conseils d'administration de la Banque nationale suisse et les membres du Tribunal fédéral suisse. À noter que les données de 1890 ne comprennent pas la Banque nationale suisse, cette dernière ayant été créée en 1905. Par ailleurs, les membres des commissions extraparlementaires ont également été investigués.