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La lassitude face aux mesures sanitaires crée un contexte favorable aux mouvances extrémistes

André Duvillard, délégué au Réseau national de sécurité de la Confédération, chargé du plan national d'action de lutte contre la radicalisation. [Keystone - Peter Klaunzer]
L'extrême droite dopée par la pandémie de Covid-19? Interview d’André Duvillard / Forum / 5 min. / le 10 avril 2021
Ces dernières semaines, l’opposition aux mesures anti-coronavirus a pris de l’ampleur en Suisse. Des manifestations de jeunes ont notamment dégénéré début avril, à Sion ou encore à St-Gall. Et, en marge du raz-le bol général, une petite frange des opposants et des opposantes tend à se radicaliser.

Pour André Duvillard, délégué au Réseau national de sécurité, la structure de la Confédération et des cantons pour les enjeux sécuritaires, la situation est préoccupante, même s'il rappelle que l'essentiel des manifestations se sont déroulées sans violences.

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En effet, une majorité des militants et des militantes mènent des actions pacifiques, à l'image de l'association "Silent Protest" qui se distancie de toute forme de violence et dit ne tolérer aucune forme de harcèlement. Mais un noyau dur se radicalise en appelant à des actions violentes. À St-Gall, des jets de cocktails Molotov ont même visé la police.

"La pandémie a créé tout un contexte de ras-le-bol vis-à-vis des autorités", analyse André Duvillard samedi dans Forum, "et même si l'immense majorité des gens qui manifestent le font dans un esprit démocratique", ce type de contexte "est toujours favorable à une forme de récupération" de la part de mouvements violents. "C'est la raison pour laquelle il faut rester attentifs", dit-il.

Montée de l'extrême-droite

Car, en parallèle, des éléments semblent indiquer une montée de la violence d'extrême-droite. Cinq néo-nazis ont notamment été condamnés cette semaine à Winterthour (ZH), tandis qu'en Thurgovie, des militants fascistes se sont mêlés à une manifestation anti-mesures sanitaires.

"On constate sur le plan international une recrudescence de ce type d'extrémisme", explique le spécialiste, "et l'affaire de Winterthour montre que le problème existe aussi en Suisse".

Consulter davantage les sites proches notamment de la mouvance QAnon ne signifie pas forcément que l'on intègre les mouvements, mais on s'y intéresse.

André Duvillard, délégué au Réseau national de sécurité, la structure de la Confédération et des cantons pour les enjeux sécuritaires

Il cite notamment une enquête de l'Institut des Études stratégiques de Londres qui relevait fin 2020 que, durant la pandémie, la consultation de sites web et de contenus d'extrême-droite a augmenté de près de 20% dans les pays germanophones, soit en Suisse, en Allemagne ou Autriche.

Toutefois, il note que la tendance à consulter davantage ces sites, proches notamment de la mouvance QAnon, "ne signifie pas forcément que l'on intègre les mouvements". "Mais on s'y intéresse", note-t-il.

Porosité avec le complotisme

Une autre frange des activistes "corona-sceptiques" verse volontiers dans les actions, violentes ou non, motivées par les théories conspirationistes.

Dans le canton de Berne, des antennes de téléphonie 5G ont par exemple été vandalisées, accusées de propager le virus. Le 20 mars dernier à Liestal (BL), un journaliste a été tabassé lors d’une manifestation.

Le conspirationisme est lié aux extrêmes politiques. Comme c’est un discours anti-système. On accuse les autorités, sans preuves suffisantes.

Pascal Wagner-Egger, professeur en psychologie sociale de l'Université de Fribourg

Par ailleurs, sur les réseaux sociaux, des groupes se constituent pour échanger des théories du complot sur le virus, et inciter à la haine contre les politiciens et les médias. Parmi eux, on retrouve des extrémistes de droite, mais également des profils plus variés, anti-vaccin ou encore ésotériques.

Pour le spécialiste en théorie du complot Pascal Wagner-Egger, professeur en psychologie sociale à l'Université de Fribourg, cette diversité n’a rien d’étonnant. "Le conspirationisme est lié aux extrêmes politiques. C’est un discours anti-système. On accuse les autorités, sans preuves suffisantes", explique-t-il samedi dans le 19h30.

>> Voir le sujet du 19h30 sur le complotisme dans les mouvements corona-sceptiques :

L'opposition aux mesures anti-coronavirus augmente. Un noyau dur se radicalise de plus en plus.
L'opposition aux mesures anti-coronavirus augmente. Un noyau dur se radicalise de plus en plus. / 19h30 / 2 min. / le 10 avril 2021

Pas encore un phénomène majeur

Toutefois, André Duvillard tempère: "L'année dernière en Suisse, on a eu 29 événements liés à l'extrémisme de droite. C'est nettement moins que l'année d'avant, on n'est pas face à un phénomène majeur. Mais les indices que nous avons actuellement doivent nous rendre très attentifs" à l'évolution de la situation, alerte-t-il.

Enfin, il note également que le problème ne disparaîtra sans doute pas lorsque les mesures sanitaires se relâcheront. "On peut l'espérer, mais il y a aussi une précarité économique qui s'est développée, et il faudra donc rester attentifs", conclut-il.

Texte web: Pierrik Jordan

Propos recueillis par Thibaut Schaller

Sujet TV: Julien Guillaume

>> Voir aussi les précisions de Julien Guillaume dans le 19h30 :

Julien Guillaume évoque la grogne des coronasceptiques en Suisse alémanique.
Julien Guillaume évoque la grogne des coronasceptiques en Suisse alémanique. / 19h30 / 1 min. / le 10 avril 2021
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