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La difficile reconnaissance des victimes d'abus au sein de l'Église

Parler ou se taire ? Un dilemme destructeur pour les victimes de pédophilie.
Parler ou se taire ? Un dilemme destructeur pour les victimes de pédophilie. / 19h30 / 4 min. / le 11 avril 2021
Des victimes d'agressions sexuelles au sein de l'Église témoignent dans le 19h30 du calvaire qu'elles ont vécu pour se faire entendre par la justice. L'Église reconnaît le problème et indemnise certaines victimes d'abus.

Le temps passe, mais la blessure est encore vive. Mélanie dit voir été agressée sexuellement par un prêtre, à douze ans, alors qu'elle jouait chez elle après le baptême de son petit frère.

"Je jouais avec une balle magique. Je me suis penchée pour la ramasser devant lui. Il m’a pris avec un bras, m'a mis sur lui et a glissé sa main sous ma jupe. Il est descendu et je pouvais sentir ses doigts en moi ou sur moi", témoigne Mélanie dans le 19h30.

Traumatisée, elle raconte la scène à ses proches. Quelques mois plus tard, en 2005, une enquête est ouverte, la fillette et l’homme d’église sont entendus. Mais faute de preuve, la justice abandonne les poursuites. Aujourd'hui, le prêtre exerce toujours.

"Pour moi, c’est injuste de ne pas être écoutée et que cet homme ne soit pas puni. Ce que j'aimerais aujourd'hui, c'est qu'il ne refasse plus ce qu'il m’a fait."

Un casse-tête pour les juges

Pour les juges, les abus à huis clos sont un casse-tête. Sans preuves matérielles ni témoins, difficile d’établir les faits.

"En cas d'acquittement pour les victimes, ça peut être perçu comme une seconde agression. Les victimes doivent rester persuadées que même si elles n'ont pas réussi à démontrer les faits, ça ne veut pas dire qu'elles n'ont pas été victimes", explique Beatrice Pilloud, spécialiste FSA en droit pénal.

L'Église est régulièrement confrontée aux scandales de pédophilie. Aujourd'hui, ses responsables assurent avoir pris conscience de la gravité du problème.

Plus d'un demi-million de francs d'indemnisation par an

Les victimes mettent souvent plusieurs années à parler et beaucoup de cas finissent par être prescrits. L'Église a donc décidé de mettre elle-même sur pied une commission de réparation.

"Pour la justice, s’il y a prescription, les choses s’arrêtent là. C’est clos. Pas pour l’Église. Il y a la réparation. C’est un retour en argent. Ce n’est pas un médicament. On ne va pas guérir la personne. C’est une manière de reconnaître le drame de ce qu'elles ont pu vivre", précise Jean Scarcella, abbé de Saint-Maurice.

Depuis 2017, l’Église suisse indemnise en moyenne 36 personnes chaque année. Cela correspond à 520'000 francs versés tous les ans aux victimes d’abus.

"Une question de survie"

Jean-Marie Fürbringer a lui aussi vécu l’horreur. Des attouchements à répétition de la part d’un capucin lorsqu'il avait 11 ans. Le religieux finira par avouer malgré la prescription des faits.

Pour celui qui est également membre du groupe de Soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (SAPEC), le nombre de cas annoncés n’est pas représentatif de la réalité. Aujourd'hui encore, trop de victimes ne trouvent pas la force de parler.

Quand il se passe des choses comme ça, il ne faut pas avoir honte [d'en parler], ne pas se sentir sale et humilié, ce n’est pas notre faute

Jean-Marie Fürbringer, Victime et membre du groupe de Soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (SAPEC)

"La peur de ne pas être cru freine les gens. Et puis il y a des gens qui parlent parce qu'ils n'ont plus le choix. Parce que leur vie est devenue tellement terrible, qu'ils sont tellement cernés par cette problématique qu'ils doivent parler. C’est une question de survie", explique Jean-Marie Fürbringer.

"Moi j'ai fait ce que j’ai pu. J’ai averti, j’ai mené mon combat. La seule chose que j’aimerais dire c'est qu'il ne faut pas faire la même erreur que moi. De garder ça durant 17 ans en pensant que ça partira, c’est faux. Je me suis lourdement trompé. Quand il se passe des choses comme ça, il ne faut pas avoir honte, ne pas se sentir sale et humilié, ce n’est pas notre faute, c’est de la faute à la personne. Même si on est tétanisé, il faut en parler."

Briser le silence. Pour soi, pour les autres. Une manière de se reconstruire, peu importe le verdict de la justice.

Romain Boisset/asch

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