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Avenir Suisse met en évidence un Röstigraben dans les dépenses de l’AI

Le think tank libéral Avenir Suisse publie aujourd’hui un rapport sur l’assurance invalidité. il en ressort un röstigraben.
Le think tank libéral Avenir Suisse publie aujourd’hui un rapport sur l’assurance invalidité. il en ressort un röstigraben. / 19h30 / 1 min. / le 13 avril 2021
Les cantons romands dépensent davantage que les alémaniques pour l’assurance-invalidité, selon une étude d’Avenir Suisse. Alors que la crise du Covid-19 et les troubles psychiques qu’elle engendre perdurent, le think tank libéral propose ses solutions pour améliorer la réinsertion des bénéficiaires.

Plus de 24 milliards de francs, c’est le coût de l’invalidité au sens large en Suisse tel que calculé par Avenir Suisse dans une étude publiée mardi, intitulée "Réinsérer plutôt qu’exclure". C’est près du triple de ce que montrent les seules statistiques de l’assurance-invalidité (voir encadré). Pour arriver à ce chiffre, le laboratoire d’idées d’obédience libérale se fonde sur des données inédites fournies par l’Office fédéral des assurances sociales.

Outre les rentes versées aux personnes avec handicap et les mesures de réadaptation, Avenir Suisse prend en compte toute une série de dépenses annexes à l'AI: les prestations complémentaires versées aux bénéficiaires de l’AI (2,1 milliards de francs par an), les rentes d’invalidité du deuxième pilier (2,1 milliards) ou encore les dépenses couvertes par l’assurance-accidents (2 milliards), l’assurance obligatoire des soins (4,8 milliards) et les assurances complémentaires (2,2 milliards).

De fortes disparités selon les cantons

La situation n’est toutefois pas uniforme dans tout le pays et on constate de fortes disparités cantonales, relève Avenir Suisse. Le taux de bénéficiaires d’une rente AI est ainsi très élevé à Bâle-Ville, dans le Jura, au Tessin ou à Neuchâtel, tandis qu’il est particulièrement faible en Appenzell Rhodes-Intérieures ou en Suisse centrale. Mais c’est surtout au niveau des coûts globaux par assuré assumés par les offices AI cantonaux que les écarts sont importants, précise le think tank.

Dans le Jura, un bénéficiaire coûte un peu plus de 60'000 francs jusqu'à l'âge de la retraite, en additionnant les coûts de rente et les coûts de réadaptation, selon les calculs d'Avenir Suisse. A l’autre bout de l’échelle, un bénéficiaire en Appenzell Rhodes-Intérieures coûte à peine plus de 25'000 francs. Tous les cantons romands, à l’exception de Fribourg et de Berne, se situent au-dessus de la moyenne suisse (45'172 francs).

Un Röstigraben culturel

Comment expliquer ce Röstigraben? Une partie de l'explication tient dans les caractéristiques socio-économiques des populations cantonales, reconnaît Jérôme Cosandey, l’un des auteurs de l’étude. Mais le directeur romand d’Avenir Suisse décèle aussi un facteur "culturel". "Certains cantons sont peut-être plus favorables à l’idée d’une rente, tandis que d’autres essaient à tout prix de l’éviter en réinsérant les personnes. Cette différence se retrouve dans les offices AI, mais aussi dans les tribunaux", qui jugent les recours déposés par les personnes auxquelles une rente a été refusée.

>> L'interview de Jérôme Cosandey dans La Matinale :

Interview de Jérôme Cosandey, directeur romand et responsable de recherche en politique sociale chez Avenir Suisse
L'invité de La Matinale - Jérôme Cosandey, directeur romand d'Avenir Suisse / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 11 min. / le 13 avril 2021

Ces différences culturelles se traduisent par un taux d’octroi des rentes nettement supérieur dans les cantons romands (sauf Berne et Fribourg) et au Tessin. A titre d’exemple, une demande sur dix se conclut par le versement d’une rente en Appenzell ou à Uri, tandis qu’une requête sur cinq est acceptée à Genève ou au Tessin. Les cantons de Zurich ou de Bâle-Ville, qui possèdent pourtant une structure économique et démographique similaire à Genève, se situent dans la moyenne suisse.

L'impact du Covid-19 sur l'AI

Pour Avenir Suisse, il est nécessaire d’uniformiser les pratiques afin de lisser les différences d’interprétation. La fondation plaide notamment en faveur de l’introduction à l’échelle nationale d’une nomenclature définissant les maladies psychiques ouvrant droit à une rente. Si 43% des nouvelles rentes étaient liées à un trouble psychique en 2019, cette proportion ne cesse de grimper. En 1995, ce taux n'était que de 28%.

Cette problématique risque de devenir encore plus importante avec la pandémie, prévient Avenir Suisse. Selon l’enquête Swiss Corona Stress publiée en décembre dernier, 18% de la population suisse présentait des symptômes dépressifs graves au pire de la deuxième vague en novembre 2020, soit six fois plus qu’avant la crise (3%). De nombreuses personnes continueront de souffrir de troubles psychiques même après le retour à une vie "normale".

"Si vous partez dans un spirale négative, si vous êtes en dépression, si vous perdez votre job, le retour sur le marché du travail sera difficile", explique Jérôme Cosandey. L’impact de la pandémie risque cependant de se faire sentir avec un certain décalage, puisqu’il se passe en général plus d’un an entre une inscription dans un office AI et le versement d’une rente, rappelle le directeur romand d’Avenir Suisse.

>> Le reportage de Temps Présent sur la santé mentale des jeunes en temps de pandémie :

Chômeurs du covid, la double peine
Chômeurs du covid, la double peine / Temps présent / 25 min. / le 11 mars 2021

Le modèle argovien en exemple

Le laboratoire d’idées, proche des milieux libéraux, recommande en outre de mieux cibler les efforts déployés en matière de réinsertion. Pour ce faire, il propose de plafonner les montants accordés pour les mesures de réadaptation pour chaque office AI cantonal en fonction du nombre de demandes. Actuellement, ces dépenses ne sont soumises à aucune limitation.

Enfin, Avenir Suisse souhaite développer la coopération entre les différentes institutions publiques cantonales, sur la base du modèle argovien. "Argovie a créé une sorte de guichet unique pour l’AI, l’assurance-chômage et l’aide sociale, avec un seul interlocuteur à la fois pour l’assuré et pour les exmployeurs. Ca évite des doublons, ça facilite la communication et ça peut aussi, à terme, faciliter la réinsertion", plaide Jérôme Cosandey.

Genève se défend

Dans le 19h30, le conseiller d'Etat genevois Thierry Apothéloz dit que son canton "applique le droit fédéral strictement". Il regrette qu'"un groupe de réflexion libéral attaque une assurance sociale qui protège" et dénonce "un rapport insuffisamment documenté sur un certain nombre de plans, notamment sur les éléments d'urbanisation".

>> L'interview de Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat genevois, dans le 19h30 :

Les explications de Thiérry Apothéloz, conseiller d'État genevois.
Les explications de Thiérry Apothéloz, conseiller d'État genevois. / 19h30 / 2 min. / le 13 avril 2021

Didier Kottelat, avec Séverine Ambrus et David Berger

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Méthodologie de l'étude

Avenir Suisse a basé son étude sur des données exclusives fournies par l’Office fédéral des assurances sociales.

Le laboratoire d'idées a pris en compte les personnes de 20 à 59 ans qui ont déposé une demande à l’AI entre 2010 et 2015.

L'étude a analysé les prestations ainsi que le coût des prestations accordées aux membres de ces six cohortes quatre ans après leur requête.

L'AI en bref

Avec des dépenses de 9,5 milliards de francs en 2019, l’assurance-invalidité (AI) est la quatrième assurance sociale du pays, après la prévoyance professionnelle, l’AVS et l’assurance obligatoire des soins.

Quelque 218’000 personnes touchent une rente AI, soit environ 4% de la population suisse en âge de travailler. Des centaines de milliers de personnes bénéficient aussi de mesures de réadaptation individuelle.