"Dans le Léman, il y aurait au moins 50 tonnes de médicaments, contre 12 tonnes de pesticides", estime Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'Université de Lausanne. "Ces résidus de médicaments sont sûrement moins toxiques que les pesticides, mais comme on cherche dans l'eau du lac seulement une centaine de médicaments sur 2000, cette estimation n'est que la pointe de l'iceberg", explique la spécialiste.
Cette pollution invisible à l'oeil provient d'une part des urines et des selles humaines mais aussi des excréments des animaux domestiques évacués dans le réseau d'eau. Elle provient également, des rejets de l'industrie chimique et pharmaceutique et des élevages industriels d'animaux et des piscicultures, gros consommateurs d'antibiotiques et d'hormones de croissance.
Les installations d'épuration ne sont pas assez filtrantes pour éliminer ces résidus qui se retrouvent dans les eaux du lac, des rivières et probablement dans l'eau du robinet.
On estime qu'il y a 50 tonnes de médicaments, contre 12 tonnes de pesticides dans le Léman. Mais cette estimation n'est sans doute que la pointe de l'iceberg. Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'Université de Lausanne
Des daphnies pour mesurer l'impact
Dans son petit laboratoire, Yara Morize, étudiante en médecine, étudie l’impact des médicaments sur les daphnies, de minuscules crustacés présents dans le lac.
"On met les daphnies avec différentes concentrations d’IPP, les inhibiteurs de la pompe à protons, un médicament qui est couramment utilisé pour diminuer l’acidité dans l’estomac, et on va voir combien de daphnies vont mourir et avec quelle concentration de médicaments", explique l'étudiante.
Ces petits crustacés présents dans les eaux en Suisse sont très sensibles à la pollution et ont un rôle primordial dans l'écosystème. Les daphnies sont présentes en haut de la chaîne trophique: elles se nourrissent d’algues et servent de nourriture aux poissons.
Ces recherches doivent permettre aux médecins de s’appuyer sur ce genre d’études pour ensuite prescrire les médicaments les moins polluants possibles.
"On sait que certains médicaments peuvent être potentiellement très toxiques pour l’environnement, mais on a finalement très peu de données qui lient les deux choses", regrette le professeur Nicolas Senn, qui dirige le département de médecine de famille à Unisanté. Celui-ci cite l'exemple du Diclofenac, un médicament utilisé comme anti-inflammatoire en médecine vétérinaire qui serait responsable de la disparition des vautours en Asie.
Le Diclofenac tue les vautours
Selon l'association Birdlife, "il a été prouvé que le Diclofenac a causé la disparition de 99% des vautours en Asie en moins de vingt ans, principalement en Inde et au Pakistan". Pour le professeur Senn, il est important de connaître les effets des molécules sur l’environnement pour pouvoir faire un meilleur choix dans les médicaments que l'on prescrit.
Car l'impact sur l'homme peut être considérable. "En Inde, avec la raréfaction des vautours, les chiens sauvages se sont mis à proliférer et la rage a fait son retour en force", s'alarme BirdLife qui, aux côtés d'autres ONG, a fait pression pour faire interdire le Diclofenac.
Pauline Rappaz/Katia Bitsch