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Loi contre le terrorisme, équilibre délicat entre sécurité et droits fondamentaux

Le sort de la nouvelle loi contre le terrorisme sera tranché par le peuple le 13 juin prochain. [Keystone - Laurent Gillieron]
Le sort de la nouvelle loi contre le terrorisme sera tranché par le peuple le 13 juin prochain. - [Keystone - Laurent Gillieron]
Le 13 juin prochain, la population suisse sera appelée à voter sur la nouvelle loi contre le terrorisme. Cette dernière entend permettre à la police d'intervenir de manière préventive à l'encontre d'individus soupçonnés de représenter une menace. Si pour les uns, elle est une adaptation logique et indispensable du droit, pour les autres, elle représente une porte ouverte aux abus. Explications.

Depuis 2015 et les attentats parisiens de Charlie Hebdo, de l'Hyper Casher, puis des terrasses ou encore du Bataclan, la menace terroriste semble s'être précisée en Europe. Des événements similaires ont eu lieu par la suite en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne et dans d'autres régions de France, comme à Nice en 2016.

En comparaison, la Suisse a été relativement épargnée, bien qu'elle ait aussi connu des cas, comme l'attaque au couteau de Morges en septembre 2020 ou celle de Lugano, au mois de novembre de la même année.

Dans ces conditions, le gouvernement et le Parlement estiment qu'il est devenu nécessaire de durcir l'arsenal législatif pour parer aux menaces futures. De leur côté, la Jeunesse socialiste, les Jeunes Verts et vert'libéraux, le Parti pirate et d'autres organisations jugent que cette nouvelle loi est excessive et qu'elle limite les droits fondamentaux et les libertés individuelles. Pour ces raisons, ils ont déposé le 14 janvier plus de 140'000 signatures contre le texte et obtenu un référendum.

Mais dans les faits, que propose exactement cette nouvelle loi?

La loi sur les mesures policières antiterroristes, c'est quoi?
La loi sur les mesures policières antiterroristes, c'est quoi? / L'actu en vidéo / 2 min. / le 28 mai 2021

La nouvelle loi contre le terrorisme, c'est quoi ?

La réforme, mise sous toit par les Chambres fédérales lors de la session de septembre, introduit une disposition réprimant le recrutement, la formation et le voyage en vue d'un acte terroriste, ainsi que les activités de financement. Les personnes qui soutiennent des organisations criminelles ou terroristes pourront être punies d'une peine privative de liberté de dix ans au plus.

Les modifications de la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) donnent par ailleurs un éventail assez large de nouvelles prérogatives à la police. Si le texte devait être accepté le 13 juin prochain, il permettrait aux forces de l'ordre d'agir à l'encontre d'un individu s'il représente une menace pour la sécurité mais que les indices ne sont pas encore suffisants pour entamer une procédure pénale.

La personne visée par ces mesures préventives pourrait alors être obligée de se présenter à un poste de police à des horaires réguliers, à ne pas quitter le territoire national, à être assignée à résidence ou encore à être interdite d'un périmètre spécifique.

Le texte permettrait aussi à l'Office fédéral de la police (fedpol) et aux autorités cantonales compétentes de traiter les données sensibles de la personne soupçonnée: opinions, activités religieuses et philosophiques, santé, mesures d'aide sociales, poursuites ou sanctions pénales et administratives.

Certains garde-fous sont toutefois imposés par le texte. Ainsi, Fedpol ne pourrait agir que si les risques que représentent un terroriste potentiel ne peuvent préalablement être écartés par des mesures sociales, intégratives ou thérapeutiques, ni par des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte. Enfin, l'application des mesures coercitives en lien avec cette loi ne seraient applicables sur un individu que pour une durée de 6 mois et ne pourraient être prolongées pour 6 mois supplémentaires qu'à une seule reprise. Seuls de nouveaux indices concrets d'une activité terroriste permettraient d'utiliser cette loi une nouvelle fois.

Une atteinte aux droits fondamentaux pour les opposants

Pour les opposants, ces limitations sont néanmoins loin d'être suffisantes pour garantir des procédures équitables. Une alliance composée du PS, de la Jeunesse socialiste, des Verts et des Jeunes Verts, des jeunes vert'libéraux, de la Grève du Climat, de la Grève des femmes ou encore de Solidarités dénonce une "atteinte aux droits fondamentaux." D'après eux, de nombreuses personnes pourraient être surveillées pour leurs attitudes personnelles.

Des mesures préventives sont certes nécessaires, reconnaît Oleg Gafner, co-président des Jeunes Verts vaudois. Mais "nous ne devons pas réagir face à la terreur en instaurant un climat de peur et de soupçon généralisé en Suisse".

>> Revoir l'interview d'Oleg Gafner dans Forum :

Nouvelle loi sur les mesures policières contre le terrorisme: interview d'Oleg Gafner
Nouvelle loi sur les mesures policières contre le terrorisme: interview d'Oleg Gafner / Forum / 6 min. / le 25 septembre 2020

Le texte met à mal la présomption d'innocence, estime de son côté la conseillère nationale Min Li Marti (PS/ZH). Des militants pourront être considérés comme potentiellement dangereux pour avoir participé à des actions non autorisées mais pacifiques.

Les mesures remettent en question des valeurs fondamentales comme les droits humains et la démocratie, relève enfin la conseillère nationale Léonore Porchet (Verts/VD).

Agir avant qu'il ne soit trop tard

A l'exception des Vert'libéraux, tous les partis de droite ont soutenu le texte lors du vote final au Parlement. D'après l'UDC, le PLR et le Centre, il est nécessaire que les forces de police puissent agir avant que le pire ne soit arrivé.

D'après eux, les mesures et les instruments pour contraindre les personnes représentant une menace sérieuse sont insuffisants. En disposant des outils nécessaires à une anticipation en cas de risques graves, la loi permettrait ainsi de mieux protéger la population.

Les partisans rappellent également que ces mesures seront appliquées au cas par cas et de manière proportionnée. Ils soulignent qu'elles ne seront utilisées qu'en dernier recours, au moment où d'autres dispositifs comme un suivi psychologique ou un programme d'occupation n'auront pas fonctionné.

>> Revoir le reportage du 12h45 qui revient sur l'argumentaire du camp du "oui" :

La nouvelle loi contre le terrorisme doit permettre à la police d'intervenir à temps pour éviter une attaque
La nouvelle loi contre le terrorisme doit permettre à la police d'intervenir à temps pour éviter une attaque / 12h45 / 1 min. / le 13 avril 2021

Quid du droit international ?

Enfin, la question du droit international est aussi au coeur du débat sur ce texte. Pour ses opposants, les mesures prévues violent tout simplement la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), qui interdit la privation de liberté arbitraire sur l'unique base de soupçons. Ils soulignent également qu'en s'appliquant à des mineurs (ndlr. la loi est applicable à l'encontre de tout individu, dès 12 ans révolus), ce texte contrevient également à la Convention relative aux droits de l'enfant.

Des griefs partagés en partie à l'international. Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a ainsi rédigé une lettre au Conseil fédéral pour critiquer un projet qui ouvrirait la porte à une privation arbitraire de liberté.

Des arguments réfutés par le Conseil fédéral et par les partisans de la loi au Parlement. Selon le conseiller aux Etats Charles Julliard (Centre/JU), ce texte et l'ensemble des dispositions sécuritaires qu'il contient sont conformes aussi bien à la Constitution fédérale qu'à la CEDH ou à la Convention des Nations unies relatives aux droits de l'enfant. Pour le conseiller aux Etats Thierry Burkart (PLR/AG), juridiquement, il n'y a donc pas de raison de s'opposer à la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT).

Tristan Hertig

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