Après de multiples rebondissements, La loi fédérale sur les réductions de gaz à effet de serre, dite Loi sur le CO2, a été largement plébiscitée tant au National (129 oui, 59 non, 8 abstentions) qu'au Conseil des Etats (33 oui, 5 non, 6 abstentions). Elle entend renforcer les mesures de lutte contre le dérèglement climatique. Pour parvenir à cet objectif, le texte propose plusieurs mesures fortes.
Récapitulatif des mesures proposées dans la loi sur le CO2
- La loi prévoit tout d'abord d'augmenter le plafond de la taxe sur les combustibles fossiles, qui passera de 120 francs par tonne de CO2 à 210 francs. Une partie importante de cette taxe devrait revenir à la population, grâce à des ristournes effectuées sur les factures d'assurance maladie de base, ainsi qu'aux entreprises, à travers les caisses de compensation AVS.
- Mais le consommateur sera plus directement concerné quand il voyagera en avion, ou en voiture. Le texte propose en effet une taxe sur les billets d'avions de 30 à 120 francs, selon la distance et la classe de transport. Les voitures individuelles n'échapperont elles non plus pas aux taxes. Les importateurs de carburant seront contraints à faire des efforts. Les coûts de leurs compensations se répercutera avec une augmentation du prix à la pompe jusqu'à 10 centimes par litre dans un premier temps, puis 12 centimes dès 2025. Dans le même temps, des mesures sont prévues pour favoriser la conversion écologique des transports publics.
- Dans le domaine des bâtiments, les émissions de CO2 des nouvelles installations de chauffage devront être drastiquement réduites. Il faudra avoir une maison bien isolée pour pouvoir installer un chauffage à mazout à l'avenir. Les émissions des bâtiments ne devront plus dépasser 20 kilogrammes par mètre carré dès 2023, puis 15 kg dès 2028. Les cantons qui ont déjà pris des dispositions bénéficieront d'une période de transition.
- La loi prévoit également la création du Fonds pour le climat dont le but sera d'encourager les mesures en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Il sera financé par un tiers des recettes de la taxe sur le CO2, mais au maximum 450 millions de francs par an. Moins de la moitié du produit de la taxe sur les billets d'avion et du produit de la taxe sur l'aviation y seront aussi affectés. La FINMA et la Banque nationale suisse devront mesurer périodiquement les risques financiers résultant du changement climatique.
- Enfin, trois quarts des réductions de CO2 devront être réalisées en Suisse, le reste à l'étranger.
Une loi coûteuse et injuste d'après les opposants
Un comité référendaire issu des milieux économiques, comme Commerce Suisse, Gastro Suisse, l'Association des propriétaires fonciers HEV, le Centre patronal ou des associations de la branche automobile et du chauffage au mazout, juge la loi "coûteuse et inefficace".
Les opposants à la loi dénoncent ainsi des taxes allant jusqu'à 1000 francs par an pour une famille moyenne, un chiffre largement supérieur à l'estimation du Conseil fédéral, qui parle de 100 francs seulement.
La loi sur le CO2 prévoit des taxes incitatives, avec une redistribution dont les grands gagnants seront les Suisses qui ne prennent ni l'avion, ni la voiture et se chauffent au renouvelable. À l'inverse, d'autres seront pénalisés, ce que dénonce le conseiller national UDC Pierre-André Page, pour qui la loi est profondément injuste: "ça n'est pas tout le monde qui paiera, mais ce seront les utilisateurs de voiture de la campagne ou des zones de montagnes. Ce seront les personnes qui n'ont pas la possibilité d'avoir des transports publics". Pour rappel, l'UDC est le seul parti à s'opposer à cette loi.
>> Revoir le reportage du 19h30 qui revient sur l'argumentaire des opposants à la loi:
"Les dix prochaines années seront décisives"
Les partisans du texte estiment de leur côté qu'il s'agit du dernier moment pour agir. Simonetta Sommaruga, la cheffe du Département de l'environnement", rappelle que la fonte des glaciers, les sécheresses et les catastrophes naturelles sont "non seulement dangereuses mais ont aussi un coût".
D'après elle, les dix prochaines années seront décisives pour atteindre la neutralité climatique d'ici 2050. La conseillère fédérale estime par ailleurs qu'avec les investissements prévus dans cette loi, la protection du climat sera non seulement renforcée, mais également que des emplois seront créés en Suisse.
La socialiste juge aussi que la loi sur le CO2 permettra de "gagner en indépendance vis-à-vis des compagnies pétrolières et gazières étrangères ".
Selon le Conseil fédéral, la loi est en outre conçue dans une optique sociale, avec des taxes qui sont en grande partie redistribuées à la population
Deux camps fracturés
Enfin, alors que sous la Coupole, l'UDC apparaît bien seule à combattre cette loi, il n'en va pas de même dans le reste du pays. Si le référendum provient de milieux économiques, d'autres acteurs du même secteur ont décidé de soutenir cette loi. Au total, plus de 200 associations et entreprises soutiennent le texte. D'après elles, cette révision garantit la prospérité, favorise l'innovation, encourage les investissements et permet de préserver l'emploi en Suisse.
>> Lire à ce sujet : Une large alliance des milieux économiques pour la loi sur le CO2
A gauche, ce sont des grévistes du climat qui ont créé la surprise en rejetant la loi sur le CO2. La raison est bien entendu différente. D'après eux, le texte n'irait tout simplement pas assez loin et renforcerait des structures "climaticides et injustes" et ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de la neutralité carbone d'ici 2030, ni même 2050. Ils ont d'ailleurs lancé leur propre référendum, qui a échoué avec seulement 7000 signatures récoltées.
>> Lire à ce propos : Les activistes du climat échouent à déclencher un référendum contre la Loi sur le CO2
Un projet qui va donc trop loin pour les uns, pas assez pour les autres, qui est jugé trop coûteux ou tout simplement proportionné au défi climatique. La bataille politique s'annonce âpre.
Tristan Hertig