Actuellement, en Suisse, les pesticides sont autorisés dans l'agriculture, dans la production et la transformation des denrées alimentaires, dans l'entretien du paysage et du sol ainsi que pour lutter contre les agents pathogènes et les organismes nuisibles. Seuls les pesticides homologués sont autorisés. Ils sont soumis à une procédure d'examen stricte avant d'être mis sur le marché, pour éviter tout risque pour la santé et l'environnement.
Ce que demande l'initiative
Pour autant, le comité d'initiative estime que ces précautions ne sont pas suffisantes. Il veut interdire toute utilisation de pesticides de synthèse en Suisse, que ce soit dans la production agricole, la transformation des produits agricoles ou l'entretien du territoire. De plus, l'importation de denrées alimentaires qui en contiennent ou dont la production a nécessité leur utilisation serait également interdite. Une période transitoire de dix ans est prévue avant l'entrée en force du texte.
Un monde paysan divisé
Le monde paysan est divisé sur les initiatives phytosanitaires. Contrairement à l'Union suisse des paysans, Demeter, Bio Suisse et l'Association des petits paysans (VKMB) soutiennent l'initiative "Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse".
Les agriculteurs qui renoncent aux pesticides de synthèse montrent qu'il est possible d'être économiquement rentable tout en protégeant la santé publique et l'environnement, indiquent ces associations.
Aujourd'hui, les pesticides de synthèse sont partout. Ils réduisent la fertilité des sols, appauvrissent la biodiversité et nuisent à notre santé, a rappelé Christian Vessaz, vigneron et membre de Demeter lors de la conférence de presse des partisans: "il est fondamental que nos sols et nos eaux conservent leur capacité à produire des aliments sains. Cet objectif n'est atteignable qu'en arrêtant d'utiliser la chimie de synthèse".
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Comme la politique agricole est actuellement au point mort avec le rejet au Parlement de la réforme PA 22+ au mois de mars, l'initiative offre l'opportunité d'orienter la politique agricole dans une direction durable, a ajouté le conseiller national Kilian Baumann (Verts/BE).
Dix ans pour changer de pratique
L'initiative prévoit que l'interdiction des pesticides de synthèse s'applique aussi à tous les aliments importés en Suisse, ce qui permet d'éviter une inégalité de traitement pour les paysans suisses, souligne Bio Suisse.
Le texte donne dix ans au monde agricole pour changer ses pratiques, un temps suffisant pour s'adapter et éviter que certaines exploitations restent sur le carreau, selon Regina Fuhrer-Wyss, présidente de l'Association VKMB. La recherche devra également travailler à des solutions pour une production et une industrie alimentaire durables mais rentables.
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Une initiative dangereuse selon les opposants
Le Conseil fédéral et la majorité du Parlement (par 111 non contre 78 oui et 7 abstentions au Conseil national ainsi que 31 non contre 9 oui et 4 abstentions au Conseil des Etats) rejettent l'initiative, bien qu'ils soient sensibles aux préoccupations du comité: la Confédération règle déjà strictement l'utilisation des pesticides (voir encadré) et soutient la recherche et le développement d'alternatives.
Sans protection spécifique contre les maladies et les ravageurs des cultures, la production de denrées alimentaires chuterait, a expliqué le président de la Confédération Guy Parmelin lors de la conférence de presse du gouvernement. Il n'y aura pas d'autre moyen que d'augmenter les importations et, par ce fait, de transférer le problème à l'étranger.
L'impact environnemental serait négatif, a encore affirmé le ministre de l'Economie. Ce qui est tout sauf durable et souhaitable.
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Union suisse des paysans opposée
L'Union suisse des paysans, qui défend les intérêts de 52'000 familles paysannes, rejette les deux initiatives soumises au vote le 13 juin (celle sur l'interdiction des pesticides de synthèse et celle sur l'eau potable propre, ndlr.), les jugeant "extrêmes".
L'initiative pour interdire les pesticides de synthèse risque selon les opposants d'induire une hausse des prix des produits sur les étals, les coûts de production bio étant plus élevés.
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Pour Damian Müller, conseiller aux Etats (PLR/LU), les conditions posées par l'initiative sur les pesticides de synthèse "violent nos obligations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)." Selon lui, en cas d'acceptation, la Suisse devra quitter l'OMC.
Menace sur les emplois
Pour Gerhard Pfister, président du Centre, "les deux initiatives ratent leurs objectifs". "Il était toutefois important pour nous (...) de présenter une autre solution", raison pour laquelle l'initiative parlementaire "Réduire le risque de l'utilisation de pesticides" a été lancée (voir encadré). Il estime que celle-ci permet une "réduction ciblée" de l'utilisation de ces produits sans qu'il soit nécessaire de procéder à beaucoup plus d'importations. Marco Chiesa, président de l'UDC, refuse une agriculture "dont les produits deviendraient hors de portée de la plupart des bourses".
Pour le comité "contre les initiatives phytos extrêmes", les deux textes menacent également les emplois. "Le secteur agricole et alimentaire représente plus de 300'000 emplois, dont environ 160'000 dépendent directement de la production indigène", souligne Fabio Regazzi, président de l'Union des arts et métiers.
Des exigences élevées limitées à la Suisse ne feraient que favoriser l'essor du tourisme d'achat et affaiblir les entreprises de transformation et de commerce indigènes.
"L'industrie du chocolat et du café ne serait pas en mesure de répondre aux exigences et devrait délocaliser sa production à l'étranger", a affirmé Isabelle Moret, présidente de la Fédération des Industries Alimentaires Suisses. Selon elle, les pesticides se révèlent en outre "indispensables au niveau hygiénique pour assurer une qualité irréprochable des aliments", et éviter le gaspillage.
Eric Butticaz
Normes plus contraignantes sur les pesticides
Le Parlement a mis la touche finale en mars à un projet visant à réduire les risques liés à l'usage de pesticides et à mieux protéger les nappes phréatiques.
Le projet, issu d'une initiative parlementaire de la commission de l'économie de la Chambre des cantons, constitue un "contre-projet très indirect" aux deux initiatives populaires contre les pesticides sur lesquelles le peuple se prononcera en juin, a rappelé Christian Levrat (PS/FR) au nom de la commission.
Réduction des risques
Le projet modifie les lois sur les produits chimiques, l'agriculture et la protection des eaux. Il permet de réglementer l'utilisation de pesticides de manière plus stricte et de réduire considérablement les risques pour l'être humain, les animaux et l'environnement. Il vise aussi à protéger les eaux de surface, les habitats proches de l'état naturel et les eaux souterraines utilisées comme eau potable.
Les risques liés aux produits phytosanitaires devront être réduits de 50% d'ici 2027 par rapport à la valeur moyenne des années 2021 à 2025. En cas de risques inacceptables, le Conseil fédéral devra définir une trajectoire de réduction allant au-delà de 2027.