Une fuite de gaz hilarant source d'inquiétudes
Deuxième entreprise de notre classement, Lonza exploite à Viège en Valais le site industriel le plus polluant du pays. C'est là que le groupe bâlois produit le principe actif pour le vaccin anti-Covid de Moderna. Mais c'est une autre usine du site qui est en cause: celle productrice de niacine, une vitamine utilisée dans des produits alimentaires.
Une fuite de cette usine rejette dans l'atmosphère d'énormes quantités de gaz hilarant, ou protoxyde d'azote (N2O), un gaz à effet de serre 300 fois plus néfaste que le CO2. A elle seule, elle émet 1% des gaz à effet de serre du pays.
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Le problème? Personne n'était au courant de cette fuite jusqu'à un bref communiqué de l'Office fédéral de l'environnement, diffusé en février 2020. On y apprend notamment que l'usine de niacine est exploitée "à cette fin depuis 1971". Autrement dit, ces émissions durent depuis cinquante ans. L'office ajoute: "Lonza s'est engagée envers l'OFEV à installer un catalyseur et à réduire ses émissions d'au moins 98% d’ici à fin 2021."
Ce communiqué conclut un long bras de fer entre la Confédération et Lonza. Un bras de fer remporté par le géant de la chimie. Les dessous de l'affaire ont été révélés en octobre dernier par le Tages-Anzeiger, qui a obtenu les échanges entre l'OFEV et Lonza. Ces documents, que nous nous sommes également procurés, mettent en lumière les rapports de force dans les négociations.
D'une part, l'office n'a pas pu imposer l'installation rapide d'un catalyseur, faute de base légale. La législation concernant les rejets de N2O reste très permissive car ce gaz n'est pas nocif pour l'être humain, seulement pour l'environnement. D'autre part, Lonza n'a pas hésité à brandir par courrier la menace d'une délocalisation de l'usine en Chine pour arriver à ses fins: ne pas débourser un centime (lire le détail dans notre chronologie ci-dessous).
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Au final, Lonza n'a donc ni à payer des réparations pour les émissions qui durent depuis cinquante ans, ni pour les émissions depuis la découverte de la fuite. Selon le Tages-Anzeiger, le groupe pourrait même faire des bénéfices sur les droits d'émissions de gaz à effet de serre octroyés par la Confédération.
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Etonnamment, cette affaire a suscité peu de réactions. "On dit que Viège, c'est Lonza Stadt", explique le conseiller national Christophe Clivaz, l'un des rares politiciens valaisans critiques envers le groupe bâlois. "L'entreprise génère tellement d'emplois qu'elle a une influence énorme. Je ne dis pas qu'elle a des passe-droits, mais elle a utilisé son poids économique comme levier de négociation avec l'OFEV", explique le Vert.
Le directeur de la communication de Lonza, Stefan Wyer, s'en défend: "Dès que nous avons pris conscience de la dangerosité du protoxyde d'azote pour le climat, nous avons réagi. Il n'y a pas de valeur limite concernant les émissions de protoxyde d'azote dans l'ordonnance sur la protection de l'air. Malgré tout, nous avons voulu prendre des mesures."
Depuis sa découverte en 2017, la fuite de gaz hilarant a relâché plus de 8000 tonnes de N2O dans l'atmosphère.
Nouvelles fuites "pas exclues"
Au-delà du cas Lonza, cette affaire pose la question du contrôle des émissions de gaz à effet de serre. Comment une fuite de gaz nocif pour l'environnement a-t-elle pu passer inaperçue pendant 50 ans?
"Ce qui m'inquiète, c'est que Lonza est peut-être un cas parmi d'autres", alerte le conseiller national Christophe Clivaz. "Je souhaiterais qu'on réalise une analyse globale pour s'assurer qu'il n'y pas d'autres mauvaises surprises".
Ce n'est pas prévu par la Confédération. Interrogé par Mise au Point, l'OFEV indique "ne pas effectuer de contrôle sur les sites". L'office explique que "les sources ponctuelles des grandes installations industrielles, à l'instar de celles détectées à la Lonza, sont relevées par les entreprises concernées". En clair, les entreprises doivent s'auto-contrôler et les coupables se dénoncer eux-mêmes.
Christophe Clivaz s'interroge sur les limites de ce système. "Quand les entreprises découvrent des émissions, elles sont censées les compenser. Cela a un coût pour elles", souligne le conseiller national. "En fonction de leur sensibilité ou de leur situation financière, elles peuvent se poser la question de l'intérêt à déclarer ou pas ces émissions."
Un principe d'auto-contrôle dont l'OFEV semble aussi comprendre les limites. L'office conclut sa réponse à nos questions par cette phrase peu rassurante: "Il n'est pas possible d'exclure que de nouvelles sources d'émissions soient détectées à l'avenir".