Karin Keller-Sutter: la loi contre le terrorisme contient "des garde-fous considérables"
La loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) permet aux autorités d'intervenir de manière ciblée, à titre préventif, contre des personnes représentant une menace terroriste.
Elle doit permettre à la police d’agir préventivement contre un "terroriste potentiel", via des entretiens réguliers, une interdiction de périmètre voire une assignation à résidence. Les référendaires y voient une atteinte claire aux droits fondamentaux.
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Invitée mardi de La Matinale de la RTS, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter rappelle d'emblée qu'il n'y a rien de nouveau avec ce texte. "Des mesures préventives sont déjà en place, par exemple contre la violence domestique, le hooliganisme ou dans la loi sur les étrangers", souligne-t-elle.
"Nous avons d'une part le Code pénal, qui n'intervient que lorsqu'un acte criminel a déjà été commis, nous avons des mesures de prévention comme la déradicalisation. Mais ce qui manque à la police aujourd'hui, ce sont les outils pour pouvoir intervenir avant qu'un acte terroriste se produise", explique la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP). "Nous sommes responsables pour la sécurité de la population, et c'est pour ça que nous voulons combler cette lacune."
Des mesures préventives et non pas pénales
Avec ce projet, la police ordonnerait et exécuterait des mesures, sans passer par un juge bien souvent. Pour Karin Keller-Sutter, cette loi n'a pourtant rien d'arbitraire. "Il ne faut pas confondre, nous ne sommes pas dans une procédure pénale", souligne-t-elle. "Nous sommes dans le contexte de mesures préventives qui servent à empêcher qu'un acte terroriste se produise".
Sur demande bien motivée d'un canton ou d'une commune, la police fédérale pourra ordonner des mesures comme l'interdiction d'entrée dans un périmètre, l'interdiction de sortir du pays ou d'avoir des contacts avec des groupes radicalisés. Pour la conseillère fédérale, il s'agit de mesures "modérées". Elle rappelle au passage qu'elles pourront être contestées devant un tribunal. "C'est le même système que pour la violence domestique."
"Il y a des garde-fous considérables"
Et pour s'assurer que la police fera un usage proportionné de ces mesures, "il y a des garde-fous considérables", note Karin Keller-Sutter. "Une police municipale ou cantonale doit faire une demande à la police fédérale Fedpol en montrant qu'elle a épuisé tous les moyens à sa disposition, qu'il n'y a plus de moyens sociaux, de mesures thérapeutiques, éducatives, etc… Et c'est à ce moment-là que Fedpol peut décider d'ordonner des mesures s'il y a des indices concrets et actuels qu'une personne pourrait commettre des actes terroristes. C'est très important qu'il y ait ces garde-fous."
Aucune alternative à ces mesures
Reste à savoir si cette loi permettra de prévenir des actes terroristes. "Il n'y a jamais une sécurité absolue, ça n'existe pas", rappelle la cheffe de Justice et Police. "Mais quelle est l'alternative? L'alternative est d'avoir l'espoir que rien ne se passe."
Il y avait une lacune dans la loi suisse, qui est comblée ici avec des mesures très similaires en place en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, rappelle encore Karin Keller-Sutter.
Propos recueillis par Julien Bangerter/oang
Critiques "académiques" sur une définition jugée trop floue
La loi MPT évoque un "terroriste potentiel", une personne qui pourrait mener des activités terroristes "en propageant de la crainte". Certains dénoncent une définition trop floue.
"Je suis très surprise de cette critique", réplique Karin Keller-Sutter, "parce que la définition du terrorisme dont on parle dans cette loi MPT est exactement la même que celle qui est en vigueur depuis 2017 dans la Loi sur le renseignement".
Le peuple suisse avait adopté cette loi avec une majorité de 65% des voix lors d'un référendum en 2016.
"Je trouve que c'est une discussion un peu académique", poursuit la cheffe de Justice et Police.
Les droits de l'enfant en question
Certaines mesures prévues dans la loi MPT concernent aussi des enfants dès 12 ans et une assignation à résidence pourra être imposée à des jeunes dès 15 ans.
Les droits de l'enfant ne sont pourtant pas bafoués, assure Karin Keller-Sutter en rappelant que la loi prévoit que les mesures de protection de l'enfant priment dans tous les cas. "Il faut donc d'abord des mesures thérapeutiques ou éducatives avant que des mesures MPT puissent être ordonnées."
Mais il faut aussi regarder ce que nous dit le terrain, relève la conseillère fédérale. "Par exemple, les jeunes de Winterthour partis faire le djihad avaient 15 ou 16 ans. En Suisse orientale, on a eu le cas d'un mineur qui voulait fabriquer une bombe. Il y a aussi cette réalité."