Le courant ne passait plus entre Viola Ahmerd, à la tête du Département de la défense, et son chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Plusieurs sources ont confirmé à la RTS que la conseillère fédérale ne communiquait quasiment plus avec Jean-Philippe Gaudin, alors que les missions d'espionnage nécessitent un lien étroit et constant entre les responsables opérationnel et politique.
"Ils ne se sont pas rencontrés en présentiel depuis plus de huit mois et ce n'est pas que à cause du coronavirus", confie un proche du chef du SRC.
L'affaire crypto en cause?
L'affaire Crypto pourrait être à l'origine de cette relation détériorée. Jean-Phlippe Gaudin aurait tardé à informer sa cheffe politique des accords secrets avec les services américains et allemands.
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Pour rappel, l'affaire Crypto a été révélée mi-février, à la suite des recherches d'un pool de médias internationaux. La CIA et les services de renseignement allemands (BND) auraient écouté, grâce à des appareils de chiffrement de Crypto AG dotés de systèmes "vulnérables", les conversations de plus de 100 Etats étrangers.
Mais pour plusieurs fins connaisseurs du renseignement, l'affaire Crypto serait un peu l'arbre qui cache la forêt. Le Vaudois a été appelé à la tête du renseignement par son compatriote Guy Parmelin en 2018. Et si les deux Vaudois ont pu faire la paire, on ne peut pas en dire autant du duo Amherd-Gaudin
Selon certains, dès son arrivée en 2019, la ministre a mal supporté les apparitions médiatiques et le franc-parler du divisionnaire Gaudin, militaire de carrière à la base. "Il paie sa franchise, son courage face aux nouveaux dangers du terrorisme et l'extrémisme violent", se désole la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD).
Un autre supporter du Vaudois va plus loin encore: "Viola Amherd sacrifie sans raison valable un des meilleurs chefs que nous ayons eu depuis longtemps aux renseignements. Elle pense avant tout à polir son image et elle n’a pas d’intérêt pour le domaine de la sécurité."
Remplacement par une femme?
Pour expliquer ce départ, le porte-parole de Viola Ahmerd renvoie au communiqué du jour qui évoque un départ convenu au 31 août pour aller "relever un nouveau défi dans l'économie privée".
Il se dit que la cheffe du Département de la défense est très soucieuse de la promotion des femmes et qu'elle serait donc pressée d'en nommer une à la place du Vaudois. Un ou deux noms circulent déjà, dont celui de l'ancienne procureure en charge du terrorisme Juliette Noto. Elle vient justement d'être intégrée à la direction du SRC.
Bilan jugé positif au SRC
Le bilan de Jean-Philippe Gaudin est plutôt considéré comme positif au sein du SRC. Il a su obtenir plus de moyens, oser réclamer des réformes, notamment dans le domaine ultra-sensible de l'espionnage politique. Mais il a dû avancer en terrain délicat. Le SRC est en fait en pleine crise de croissance avec une augmentation des effectifs de 300 à 400 postes qui prend beaucoup d'énergie à l'interne.
Dans le même temps, des agents aguerris s'en vont, dépités par la défiance du monde politique, la bureaucratie et l'obsession du contrôle prend le dessus sur l'opérationnel.
Ludovic Rocchi/vkiss
Le parcours de Jean-Philippe Gaudin
Jean-Philippe Gaudin est à la tête du SRC depuis juillet 2018. Nommé par Guy Parmelin, alors ministre de la Défense, le Vaudois âgé de 58 ans a succédé à Markus Seiler. Il a dirigé le Service de renseignement militaire de 2008 à 2015, avant de devenir attaché de défense à Paris.
Après avoir travaillé à l'Office du tourisme de Montreux, Jean-Philippe Gaudin est devenu en 1987 instructeur à l'armée. En 2000, il a commandé un bataillon de soutien logistique à l'OSCE en Bosnie et Herzégovine.
Tout en poursuivant son perfectionnement en suivant des cours en Grande-Bretagne, en France et auprès de l'OTAN, le Vaudois a grimpé dans la hiérarchie du service de renseignement militaire. Il en deviendra le numéro deux en 2005 avant de diriger le service dès 2008.
Sous la houlette de Jean-Philippe Gaudin, le SRC a pu être étoffé. Une centaine de nouveaux postes doivent être créés pour renforcer les domaines de la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent. L'augmentation s'étalera sur cinq ans.
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