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Loi sur le CO2: un surcoût de 100 ou de 1000 francs pour une famille-type?

La loi sur le CO2 entraînerait des surcoûts pour les trajets en avion, en voiture thermique et pour les chauffages à mazout
La loi sur le CO2 entraînerait des surcoûts pour les trajets en avion, en voiture thermique et pour les chauffages à mazout / 19h30 / 2 min. / le 18 mai 2021
La campagne sur la loi sur le CO2 vire à la guerre des chiffres. Pour les partisans de la réforme, un ménage suisse moyen devra débourser environ 100 francs de plus par an. Les opposants, eux, évoquent des charges supplémentaires allant jusqu'à 1000 francs. Qui a raison?

Le sort d'une votation, on le sait, se joue souvent dans le porte-monnaie des Suissesses et des Suisses. Le coût pour les ménages de la révision de la loi sur le CO2, soumise au peuple le 13 juin, est par conséquent l'un des enjeux majeurs de la campagne. Chaque camp avance ses chiffres. Pour une famille-type de quatre personnes (voir encadré), les estimations de coûts supplémentaires d'ici 2030 vont carrément du simple au décuple.

Selon notre estimation, une famille suisse moyenne - si elle ne modifie en rien son mode de vie d'ici 2030 - devrait débourser 113 francs ou 235 francs de plus par an (en fonction de la consommation de mazout). On dépasse les 100 francs mentionnés par la Confédération, mais on est loin des 1000 francs avancés par les opposants, bien qu'il soit tout à fait possible de trouver des situations qui correspondent à ces montants.

>> Lire aussi la présentation des enjeux : Votation sur la Loi sur le CO2, des fronts divisés des deux côtés

Trois points en particulier peuvent agir directement sur le montant de la facture: l'augmentation de la taxe sur le CO2 sur les combustibles fossiles, la future taxe sur les billets d'avion - toutes deux rétrocédées en partie à la population - et la hausse attendue du prix des carburants. Nous avons vérifié les données et les sources utilisées par les uns et les autres, évalué leur pertinence puis sorti notre calculatrice. En voici le détail.

TAXE SUR LE CO2 SUR LES COMBUSTIBLES FOSSILES

La taxe sur le CO2 s'applique sur les combustibles fossiles (mazout ou gaz naturel). Elle s'élève à 96 francs par tonne de CO2 émise, soit environ 25 centimes par litre de mazout. Jusqu'à présent, elle n'a pas dû être relevée jusqu'au maximum légal de 120 francs par tonne de CO2. Avec la révision de la loi, ce plafond serait relevé et la taxe pourrait être portée à 210 francs par tonne de CO2 au maximum (un peu plus de 55 centimes par litre de mazout).

Deux tiers du produit de cette taxe sont redistribués à l'économie et à la population. A ce titre, tout le monde a reçu l'an dernier un remboursement de 73,85 francs, une somme déduite de la facture d'assurance-maladie. Pour notre famille-type de quatre personnes, cela représente un rabais d'un peu plus de 295 francs par an. Avec la nouvelle loi sur le CO2, partisans et opposants s'accordent pour dire que cette rétrocession devrait augmenter de 20 francs par personne.

Jusque-là, tout le monde est d'accord. Mais alors, comment expliquer les divergences entre les deux camps? La première pomme de discorde concerne la base de calcul: pour les partisans du non, il faut comparer le montant maximal de la taxe sur le CO2 à ce que paient réellement les consommateurs aujourd'hui (96 francs par tonne). L'Office fédéral de l'environnement (OFEV), lui, tient compte du plafond actuel de 120 francs par tonne. Son argument? Cette limite restera en place, qu'importe le résultat du vote.

Deuxième pierre d'achoppement: la consommation moyenne d'un système de chauffage au mazout. L'OFEV retient une consommation de 8 litres par m2, ce qui correspond à une habitation moyennement efficiente. Il se fonde sur une brochure publiée par SuisseEnergie consacrée à la rénovation des bâtiments. Au vu de la vétusté du parc immobilier suisse et des prescriptions en vigueur au moment de la construction, les opposants à la loi chiffrent pour leur part la consommation à 12 litres par m2.

Notre estimation: +164,20 francs ou +288,35 francs

Le coût de la hausse de la taxe sur le CO2 pour une famille-type oscille entre 164 francs et 384 francs par an en moyenne, que l'on retienne les chiffres de l'OFEV ou des opposants à la loi. De notre côté, nous estimons qu'il est plus logique de calculer la facture à partir de la taxe actuelle maximale plutôt que la taxe effective, comme le fait la Confédération, puisque le plafond de 120 francs par tonne de CO2 sera maintenu en cas de non le 13 juin.

En revanche, nous n'avons pas été en mesure d'arbitrer la dispute quant à la consommation moyenne d'une installation de chauffage au mazout. Les variables à prendre en compte sont multiples (année de construction du bâtiment, entretien du logement, assainissement potentiel, ...) et les sources sont discordantes. Par conséquent, nous avons effectué deux estimations, l'une avec les chiffres de l'OFEV, l'autre avec ceux des opposants à la loi.

TAXE SUR LES BILLETS D'AVION

La nouvelle loi sur le CO2 prévoit l'introduction d'une taxe sur les billets d'avion, prélevée sur tous les vols commerciaux au départ de la Suisse. Le montant de la taxe dépend de la longueur du trajet - 30 francs pour un court-courrier, 60 francs pour un moyen-courrier et 90 francs pour un long-courrier en classe économique - et un surplus de 30 francs est facturé pour les classes supérieures, selon le projet d'ordonnance. La moitié de la manne amassée est rétrocédée à la population via l'assurance-maladie.

Le principe est simple. Et pourtant, pour un voyage en famille à l'étranger par année, les estimations des conséquences financières pour notre ménage-type varient radicalement: un bénéfice de 120 francs selon le calcul de l'OFEV, un coût supplémentaire de 240 francs selon les tenants du non. Deux raisons expliquent cet écart.

Première différence: le lieu de destination. Pour la Confédération, la famille suisse moyenne prend un vol court-courrier pour se rendre en Europe chaque année. Dans ce cas, elle doit débourser 30 francs par personne, soit 120 francs de taxe au total. Les opposants à la loi, eux, choisissent une destination à peine plus lointaine - le Maroc ou les îles Canaries par exemple -, ce qui fait doubler la facture (240 francs).

Deuxième différence: la redistribution du produit de la taxe. Grâce à ce mécanisme, l'OFEV estime que chaque personne bénéficiera d'une rétrocession de 60 francs par année. Les partisans du non, de leur côté, excluent de leur calcul cette composante qu'ils jugent “trop aléatoire”. La chute spectaculaire du trafic aérien en raison de la pandémie et la difficulté de prévoir l'évolution à long terme nourrit leur argumentaire.

Notre estimation: -120 francs

Concernant l'impact de la taxe sur les billets d'avion, nous avons retenu le calcul de la Confédération (bénéfice de 120 francs pour le ménage). Il est de bonne guerre, pour les tenants du non, de considérer qu'une famille part en vacances au Maroc (taxe de 60 francs) plutôt qu'à Majorque (30 francs). Pourtant, selon la dernière statistique de l'aviation civile, plus de 70% des vols commerciaux au départ des trois grands aéroports du pays tombent sous la définition du vol court-courrier.

En outre, il n'est pas correct de simplement faire abstraction de la redistribution de la taxe sous prétexte que le montant exact serait impossible à prédire. La rétrocession de 60 francs par personne est "une estimation volontairement prudente", note l'OFEV, qui se fonde sur une étude menée par l'institut Sotomo l'an dernier. Tout récemment, la SonntagsZeitung a d'ailleurs estimé la ristourne à 70 francs par personne en actualisant les données d'une étude du bureau Infras.

AUGMENTATION DU PRIX DES CARBURANTS

Les carburants fossiles tels que l'essence ou le diesel ne sont pas soumis à la taxe sur le CO2. En revanche, les importateurs ont l'obligation de compenser d'ici à 2030 jusqu'à 90% des émissions de CO2 dues aux transports. Les coûts supplémentaires peuvent être répercutés en partie sur les automobilistes. A l'heure actuelle, la majoration maximale des prix des carburants est fixée à 5 centimes par litre, mais les importateurs n'utilisent pas intégralement cette possibilité et se limitent à 1,5 centime.

En cas de oui, la limite passera à 10 centimes puis à 12 centimes par litre dès 2025. C'est donc une hausse de 10,5 centimes par litre d'essence qui pend au bout du nez des automobilistes, affirment les opposants à la loi sur le CO2. Faux, rétorque l'administration fédérale. Pour elle, la logique impose de comparer le plafond de la législation actuelle - qui reste en vigueur même en cas de non - et celui de la loi révisée. Dans ce cas de figure, la hausse maximale se borne à 7 centimes par litre.

A quel point cela va-t-il peser sur le budget de notre famille-type? Cela dépend à la fois du nombre de kilomètres parcourus et de la consommation du véhicule. Et sans surprise, les deux camps n'utilisent pas les mêmes chiffres: ceux de l'Office fédéral de l'énergie du côté de la Confédération (12'500 km/an, 6,08 litres aux 100 km), ceux du TCS de l'autre (13'500 km, 7,3 litres aux 100 km). Tout compris, la facture annuelle grimpe de 53 francs ou 104 francs.

Notre estimation: +69 francs

L'augmentation attendue du prix des carburants aurait des répercussions financières négatives de 53 francs ou 104 francs par an pour notre famille-type, selon les calculs d'un camp ou de l'autre. Notre estimation s'établit entre ces deux valeurs, à 69 francs par an. Pour arriver à ce montant, nous avons tenu compte des statistiques du TCS (comme les opposants) et de la majoration maximale actuelle (comme la Confédération), qui reste en vigueur en cas de refus de la nouvelle loi.

CONCLUSION

Les opposants à la loi sur le CO2, on le voit, poussent le curseur au maximum. Et pourtant, même en prenant leurs chiffres, nous n'arrivons pas à un coût supplémentaire de 1000 francs par an pour notre famille-type. "Ce que nous disons, c'est que la réforme pourrait coûter jusqu'à 1000 francs à une famille-type de quatre personnes", précise Patrick Eperon, le directeur du comité économique contre la loi sur le CO2 pour la Suisse romande.

Reste que pour débourser autant, il faut nécessairement modifier les caractéristiques du ménage. Il faudrait augmenter de manière significative la taille du logement, la consommation de mazout, les kilomètres parcourus en voiture ou encore le nombre de vols effectués chaque année. On s'écarterait alors du profil de la famille suisse moyenne.

Pour Patrick Eperon, nos estimations montrent cependant que les 100 francs avancés par l'OFEV sont fallacieux, voire "délibérément trompeurs". Relevons toutefois que la variante 1 de notre calcul ne s'écarte des estimations de la Confédération que de 16 francs par an. Les seules différences résident dans la distance moyenne parcourue par une voiture ainsi que la consommation d'essence aux 100 kilomètres.

Notons encore le fait que toutes ces estimations ne prennent pas en compte les éventuels changements de comportements qui interviendront d'ici 2030. Il suffira par exemple que notre famille-type remplace sa voiture par un véhicule électrique pour que la facture passe sous les 100 francs. Et si elle se passe de l'avion ou opte pour un chauffage sans énergies fossiles, le solde deviendra même bénéficiaire.

Les mesures prévues dans la loi sur le CO2 soumise au peuple le 13 juin, expliquées par Esther Mamarbachi
Les mesures prévues dans la loi sur le CO2 soumise au peuple le 13 juin, expliquées par Esther Mamarbachi / 19h30 / 1 min. / le 18 mai 2021

Didier Kottelat

>> Voir aussi les explications d'Esther Mamarbachi:

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Le profil d’une famille-type

La famille-type que nous avons prise en compte pour notre estimation des coûts supplémentaires occasionnés par la révision de la loi sur le CO2 est une famille de quatre personnes qui correspond aux caractéristiques suivantes:

  • elle habite un logement de 128 m2

  • elle se chauffe au mazout

  • son installation de chauffage consomme 8 litres (estimation de l'OFEV) ou 12 litres (estimation du camp du non) de mazout par m2

  • elle possède une voiture qui consomme 7,3 litres aux 100 km et parcourt environ 13'500 km par an

  • elle effectue un vol court-courrier par an en Europe

Cette famille correspond en grande partie à celle qui a été prise en exemple par la Confédération. En termes de consommation d'essence, nous avons toutefois retenu les chiffres des opposants à la loi, plus représentatifs de l'ensemble du parc automobile suisse.

Quant à la consommation de mazout de chauffage, les données disponibles ne nous ont pas permis de choisir entre les chiffres avancés par l'OFEV et ceux du camp du non. Nous avons donc effectué deux estimations.

Les sources

- Texte soumis au peuple: Loi fédérale sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Loi sur le CO2)

- Projet d'ordonnance d'application de la loi sur le CO2: Ordonnance sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Ordonnance sur le CO2)

- Taille moyenne du logement: OFS, Surface moyenne par habitant selon la composition du ménage privé, par canton (2019)

- Système de chauffage: OFS, Bâtiments selon le système de chauffage et agents énergétiques (2017)

- Consommation moyenne de mazout (selon l'OFEV): SuisseEnergie, brochure "Rénovation des bâtiments" (2019)

- Consommation de mazout (selon les opposants): OFS, Bâtiments selon l'époque de construction (2019) et Modèles de prescriptions énergétiques des cantons (MoPEC)

- Autre source d'informations sur la consommation de mazout selon l'ancienneté du bâtiment: www.energie-environnement.ch

- Emissions de CO2 d'un litre de mazout et montant actuel de la taxe sur la taxe sur le CO2: OFEV, Taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles

- Redistribution de la taxe sur le CO2 à la population: OFEV, Redistribution de la taxe sur le CO2

- Consommation de carburant des voitures neuves en 2018: communiqué de l'Office fédéral de l'énergie du 4 juilet 2019 (statistique utilisée par l'OFEV); à noter qu'une version plus récente de ces données est disponible ici

- Distance moyenne parcourue par une voiture de tourisme en Suisse (selon l'OFEV): calculée par l'Office fédéral de l'énergie sur la base du registre MOFIS de l'Office fédéral des routes

- Consommation de carburant de l'ensemble du parc automobile suisse et distance moyenne parcourue par une voiture de tourisme en Suisse (statistiques utilisées par les opposants): données fournies par le TCS

- Nombre moyen de vols par personne en Suisse: OFS, microrecensement mobilité et transports (2015)

- Part du court et du moyen-courrier dans le trafic aérien des aéroports suisses: OFS, Statistique de l'aviation civile suisse 2019

- Prévisions de l'évolution du trafic aérien en Suisse: DETEC, Plan sectoriel des transports, Partie infrastructure aéronautique (PSIA, 2020) et données fournies par l'Aéroport de Genève et l'Aéroport de Zurich

- Estimation du montant de la redistribution de la taxe sur les billets d'avion: Sotomo, Grundlagenstudie Flugticketabgabe Schweiz (2020), Swiss Cleantech/Infras, Finanzielle Auswirkung von Abgaben auf Brennstoffe, Treibstoffe und Flugtickets (2019) et SonntagsZeitung (02.05.2021)

- Calcul de la Confédération: OFEV, Coût de la loi sur le CO2 révisée pour une famille moyenne