Brigitte Crottaz: "Un million de personnes boivent chaque jour des eaux contaminées aux pesticides"
Le 13 juin, le peuple suisse se prononcera sur les initiatives "pour une Suisse libre de pesticides de synthèse" - qui veut interdire l'utilisation de ces substances dans la production agricole, ainsi que pour l'entretien des paysages - et "pour une eau potable propre et une alimentation saine", qui souhaite conditionner l'octroi aux agriculteurs de paiements directs à un respect de mesures très strictes pour protéger les eaux et la biodiversité.
L'eau suisse est de bonne qualité, concède d'emblée Brigitte Crottaz, médecin spécialiste en endocrinologie et diabétologie, conseillère nationale (PS/VD) et membre du comité pour l'initiative "Eau propre", interrogée dans La Matinale. "Mais des études ont montré qu'il y a de nombreuses zones dans lesquelles il y a des dépassements clairs des taux de pesticides dans l'eau, et un million de personnes boivent ces eaux chaque jour", prévient-elle.
Et si les campagnes en faveur des initiatives ont pu être accusées de jouer sur des discours de peur, la politicienne vaudoise s'en défend: "Pour paraphraser Guy Parmelin, de mon côté je ne veux pas faire peur, mais informer factuellement sur les risques pour la santé liés aux pesticides. Or, de nombreuses études démontrent leur toxicité", avance-t-elle.
>> Lire le point de vue des opposants défendu lundi dans La Matinale par Guy Parmelin : "Les pesticides utilisés dans l'agriculture sont les plus surveillés en Suisse"
Diminution insuffisante
Pour Brigitte Crottaz, il s'agit d'un véritable problème de santé publique. Elle cite notamment une étude menée par un médecin de Sion, qui a relevé des taux élevés de pesticides dans le sang de patients atteints de pathologies graves. "Ce n'est pas seulement dans l'eau que l'on boit, mais également en passant à proximité de champs agricoles, que l'on se contamine avec ces pesticides", dit-elle.
Pourtant, des efforts sont déjà largement accomplis par le secteur agricole. Des objectifs environnementaux ont été définis dès 2008 par le Conseil fédéral. "Mais les évaluations ont montré en 2018 qu'aucun des 13 objectifs n'avait été complètement atteint", selon Brigitte Crottaz. "Certes il y a eu un progrès, avec une diminution de 40% des pesticides, mais on reste à une consommation de 2000 tonnes par année de pesticides, dont on sait qu'ils vont rester dans les sols durant de nombreuses années."
Diminuer le gaspillage
D'après la socialiste, "il y a aujourd'hui environ 18% des exploitations agricoles qui ont réussi à se battre, sur une base volontaire, pour passer en agriculture 'Bio' en une dizaine d'années".
Mais le cahier des charges de l'agriculture dite biologique implique une diminution moyenne des rendements agricoles d'environ 20%, ce qui pourrait impliquer une diminution de l'autonomie alimentaire du pays. Un écueil que concède Brigitte Crottaz, qui estime néanmoins que "si on pouvait supprimer le gaspillage alimentaire qui existe actuellement, on compenserait très facilement cette baisse de rendements".
L'épineuse question des fourrages
Enfin, l'une des critiques les plus virulentes soulevée à l'encontre de l'initiative "Eau propre" concerne l'interdiction d'échange ou d'importation de fourrages pour nourrir les animaux.
Brigitte Crottaz concède que l'exigence, dans le texte, que le fourrage vienne de l'exploitation elle-même ne sera "pas possible". Dans l'application concrète, il faudra que les fourrages viennent de Suisse.
"Tous ces textes d'initiatives ne sont jamais parfaits. Au moment de la mise en application, il est possible de modifier certaines choses", estime-t-elle. Or, "selon les interprétations juridiques que l'on peut faire du texte, si le fourrage suisse est capable de nourrir les animaux suisses, alors cela sera compatible avec le texte de l'initiative.
>> Pour en savoir plus sur le contenu des deux initiatives, lire : Initiative "pour une Suisse libre de pesticides de synthèse" et Initiative "pour une eau potable propre et une alimentation saine"
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Pierrik Jordan