Seize millions d'autotests pour le coronavirus ont été mis en circulation en Suisse depuis le mois d'avril, selon pharmaSuisse. Cinq unités sont fournies gratuitement chaque mois aux assurés du pays, aux frais de la Confédération.
L'enquête du 19h30 débute dans une petite pharmacie de Lausanne, où les autotests distribués par le groupe pharmaceutique Roche en lot de 25 sont reconditionnés en lot de 5 unités, dans des sachets plastiques. La pharmacie perçoit 6 francs par sachet rempli par la comptable de l'établissement.
"J'ai été un peu surprise par le prix. Il me semblait que c’était assez onéreux pour les assurances et la Confédération", explique Simone Golaz.
Médecins lésés?
Avec ce travail et toutes les autres activités qui y sont liées, comme la distribution et le conseil, la marge du pharmacien sur l'autotest avoisine les 50%.
Des chiffres qui font bondir les médecins. Ceux-ci s'estiment nettement moins bien payés pour vacciner.
"Si quatre millions de Suisses vont chercher une fois par mois un sachet chez le pharmacien, ça revient à une marge pour les pharmaciens de 88 millions par mois, soit à peu près un milliard par année. Le prix paraît un peu exagéré", estime Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine.
"On ne vole personne"
Pour les pharmaciens, ces émoluments, mêmes élevés, sont mérités. "J'ai l’impression qu'on ne vole personne. On a un gros travail qui est fait derrière de logistique, d’administratif, de soutien. Et il ne faut pas oublier que les pharmaciens étaient les premiers et les seuls à pouvoir faire rapidement ce travail, pendant les vacances de Pâques", rappelle Christophe Berger, président de la Société vaudoise de pharmacie.
Facturé 12 francs, l'autotest Roche et sa distribution à la population suisse, après TVA, est rémunéré 5,60 francs au pharmacien et 5,50 francs au distributeur. Au total, avec la TVA, cela correspond à la virgule près au plafond tarifaire fixé par le Conseil fédéral pour les autotests dans l’ordonnance 3 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus.
Des chiffres qui interpellent Emidio Do Sacramento, PDG de l'entreprise Zenum. Celui-ci a développé au parc technologique Biopôle de Lausanne un test antigénique rapide homologué en Belgique.
"Si on prend l'exemple d'un autotest de type sérologique ou antigénique, le coût de production ne dépasse pas les deux francs. Je pourrais vendre cet autotest à 2,20 francs au client final", indique-t-il.
Nouvelle concurrence
Le groupe Roche n'a pas souhaité s’exprimer sur le détail de ses prix. "Nous fixons nos prix de manière responsable afin qu'il n'y ait pas d'obstacle à l'accès pour les patients", répond l'entreprise aux sollicitations de la RTS.
La conseillère nationale vaudoise Léonore Porchet, membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, regrette cette situation. "Ce qui est scandaleux, c'est la complicité de la Confédération avec la pharma, qui de tout temps lutte pour garder ses prix et ses marges. La Suisse est un des seuls pays qui s’est opposé à la suspension des brevets des vaccins, justement pour conserver les marges astronomiques de la pharma", relève l'élue verte.
L'entreprise américaine BD, qui a domicilié son siège administratif à Eysins, près de Nyon, est le deuxième acteur à entrer sur le marché des autotests en Suisse, grâce à une autorisation obtenue auprès de Swissmedic. Malgré cette nouvelle concurrence, les prix ne devraient que peu varier.
Claude-Olivier Volluz
La réponse de l'OFSP
L’OFSP a finalement répondu vendredi matin aux questions de la RTS, après la diffusion du reportage.
Selon l’Office fédéral de la santé publique, la marge de manœuvre des autorités est limitée: "La Confédération n’a aucune compétence sur le prix de fabrique. De plus, les autotests sont achetés par les pharmacies sur le marché libre. La Confédération ne fixe la rémunération maximale que dans le domaine de la distribution au grand public et pour ce qui concerne l’exécution des analyses Sars-CoV-2 par des prestataires reconnus."
Cependant, selon l’OFSP, des ajustements au niveau tarifaire ne sont pas exclus: "La Confédération observe de près l’évolution du marché ainsi que la rémunération des prestations et adapte rapidement les tarifs si nécessaire."
Pour ce qui concerne les distributeurs en concurrence, quatre autotests sont désormais autorisés, révèle l’OFSP qui, en revanche, ne souhaite pas faire de commentaires sur les demandes reçues ou en cours.