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Une réforme des douanes lève le voile sur un service sous haute tension

Fini la distinction entre les gardes-frontières armés  les employés qui contrôlent les marchandises.
Fini la distinction entre les gardes-frontières armés les employés qui contrôlent les marchandises. / 19h30 / 3 min. / le 7 juin 2021
Une refonte complète du métier de douanier provoque d’importantes tensions auprès des employés et employées, révèle une enquête de la RTS lundi. La personnalité et le management du directeur de l'Administration fédérale des douanes sont aussi mis en cause. Plusieurs interpellations ont été déposées au Parlement.

Une vaste réforme est en cours au sein de l’Administration fédérale des douanes (AFD). Finie la distinction entre les gardes-frontières armés qui assurent la sécurité et les employés civils qui contrôlent les marchandises. Ces deux métiers très différents n’en feront bientôt plus qu’un.

Autrement dit, des personnes employées de l'administration vont bientôt être armées et devront assurer des tâches sécuritaires. Pour les douanes, "le profil professionnel unique renforce une agilité organisationnelle pour faire face aux besoins".

Peur et silence

Pourtant, la RTS a recueilli plusieurs témoignages anonymes de douaniers inquiets de la réforme en cours. "On va tous toucher une arme et un gilet pare-balles pour devenir garde-frontières. Pour nous qui travaillons dans les bureaux, c’est une inquiétude vraiment pesante, la majorité des collègues ont la boule au ventre", témoigne l’un deux dans le 19h30.

"J’ai une peur viscérale de l’arme", explique un autre douanier. "Et je pense que je serais, avec une arme, un danger pour moi-même et pour les autres."

L'ambiance est maussade au sein de l'Administration fédérale des douanes, et la réforme en cours n'en est pas la seule cause. [Keystone - Gaétan Bally]
L'ambiance est maussade au sein de l'Administration fédérale des douanes, et la réforme en cours n'en est pas la seule cause. [Keystone - Gaétan Bally]

Les personnes rencontrées par la RTS évoquent aussi un climat de peur et une loi du silence : "Personne n'ose parler. On discute beaucoup entre collègues, tout le monde a peur, mais dès qu’il y a des gens plus hauts placés, des cadres qui arrivent, c’est silence radio et tout le monde hoche la tête et dit que tout va bien dans le meilleur des mondes."

Du côté de l'AFD, c’est un autre son de cloche. La réforme DaziT, devisée à 400 millions de francs, doit permettre de "moderniser" les douanes. Elle se divise en deux volets: la digitalisation des services et la création d’un profil de métier unique, qui doit offrir une plus grande agilité et permettre à l’AFD de mieux répondre aux besoins actuels.

"La direction est consciente que les changements dans un processus de transformation tel que celui de l’AFD génèrent de l'incertitude. La direction prend les préoccupations des collaborateurs très au sérieux", écrit à la RTS Donatella Del Vecchio, la porte-parole romande de l’AFD.

>> Les précisions de Gilles Clémençon, chef du pôle Enquête de la RTS :

Gilles Clémençon, chef du pôle Enquête de la RTS : "Des douaniers qui parlent de peur, d'angoisse, de nuits blanches, c'est assez exceptionnel."
Gilles Clémençon, chef du pôle Enquête de la RTS : "Des douaniers qui parlent de peur, d'angoisse, de nuits blanches, c'est assez exceptionnel." / 19h30 / 1 min. / le 7 juin 2021

Un directeur "dictateur" et "colérique"

La réorganisation, qui concerne quelque 4500 employés, n’est pas le seul problème des douanes. Au cœur des critiques, l'actuel directeur, Christian Bock. L'homme mènerait ses troupes de façon autoritaire, dans un management de la peur dont la presse alémanique s'est déjà faite l’écho.

Les critiques viennent aussi du Parlement à Berne. La conseillère nationale Barbara Gysi (PS/SG), présidente l’Association du personnel de la Confédération, constate que "le nom du directeur revient tout le temps, les douaniers ne sentent pas considérés. C'est quelqu’un qui agit de façon très directive, beaucoup le craignent et c’est un grand problème". Elle ajoute : "Si vous vous exprimez, vous prenez le risque d’être sanctionné ou d’être déclassé. Beaucoup craignent pour leur place."

Signe de cette tension, au moins sept interpellations concernant la réforme des douanes ont été déposées ces dernières semaines au Parlement. "C’est la première fois que je vois ça à l'administration fédérale", atteste Regula Rytz (PS/PS) qui a déposé trois interpellations. "C’est une transformation, c’est clair, mais une transformation peut aussi se faire avec le personnel et pas contre le personnel."

Un employé des douanes explique de son côté : "Notre directeur Monsieur Bock est une sorte de dictateur et surtout colérique. (…) Il n’est pas du tout à l’écoute

Le directeur de l'Administration fédérale des douanes est mis en cause par plusieurs employés pour un management dictatorial. [Keystone - Peter Klaunzer]
Le directeur de l'Administration fédérale des douanes est mis en cause par plusieurs employés pour un management dictatorial. [Keystone - Peter Klaunzer]

du personnel."

Confiance d'Ueli Maurer

En face, le service s'en défend: "Les collaboratrices et les collaborateurs peuvent à tout moment soumettre leurs questions et suggestions via l'intranet ou par courrier électronique (…). Le directeur se rend en visite de terrain deux fois par année dans chaque région afin d’échanger le plus régulièrement possible avec les collaborateurs et de se rendre compte au plus près du travail opérationnel effectué."

Ni Christian Bock, ni son ministre de tutelle Ueli Maurer, n’ont souhaité répondre aux questions de la RTS. Jusqu'ici, le conseiller fédéral UDC a toujours maintenu son soutien. Comme dans ce courrier que nous nous sommes procurés, envoyé par Ueli Maurer début mai aux employés des douanes: "Les collaborateurs et la Direction de l'AFD ont toute ma confiance. Je rejetterai toujours les accusations non fondées portées à l’encontre de mes employés."

Sur le terrain, les choses se précisent. Le recrutement des nouveaux aspirants et aspirantes pour la nouvelle formation est en cours, à grands renfort de clips publicitaires. Les premières formations doivent débuter cet été.

Gilles Clémençon/jop

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