Dans l'énoncé d'un exercice, on ne lira donc plus "compare tes résultats avec un camarade" mais "compare tes résultats". "Les enseignants et les enseignantes devront faire preuve d'un peu d'inventivité pour introduire l'écriture inclusive dans leur classe", a expliqué mercredi devant la presse Pascale Marro, secrétaire générale de la Conférence intercantonale de l'Instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
L'écriture inclusive ou le langage épicène ne seront toutefois pas introduits de manière officielle, comme l'explique mercredi au micro de Forum Jean-Pierre Siggen, président de la CIIP. Il s'agira surtout "d'une sensibilisation" pour rendre la langue plus "équitable", tient-il à préciser. Et pas question d'introduire les points médians du type "un·e".
"Pour dire 'enseignants', on peut dire 'enseignants et enseignantes', mais également 'corps enseignant'. Ce type d'expressions rassemble la diversité des genres, et c'est cette plus grande égalité dont on veut tenir compte", poursuit-il. "Après, il faut le faire de manière nuancée et appropriée, sans être idéologue et transformer les mots."
En 2018, la CIIP avait déjà décidé de renouveler les moyens d'enseignements romands du français, qu'elle jugeait trop obsolètes, en élaborant de nouveaux manuels de cours. Ces derniers seront introduits progressivement dès 2023, d'abord dans les classes de 1H et 5H, puis chaque année dans une classe supplémentaire.
Orthographe "rectifiée"
La CIIP a par ailleurs déjà publié le "petit livre d'OR", un guide à destination des enseignants et des parents sur les nouvelles manières d'écrire au XXIe siècle. Ce vadémécum liste les quatorze principes de l'orthographe "rectifiée", qui se base sur les recommandations émises par le Conseil supérieur de la langue française depuis 1990, et qui deviendront dès 2023 la norme. Une liste complète des mots à la graphie rectifiée est aussi disponible en ligne.
Ainsi, on n'écrira plus "une voix aiguë" mais "aigüe", ou on n'écrira plus "une boîte", mais "une boite". "Nous tenions à rendre les textes plus accessibles pour les enfants dyslexiques ou allophones, par exemple", relève Jean-Pierre Siggen, pour qui il ne s'agit pas d'un appauvrissement mais d'une simplification de la langue pour la rendre plus cohérente.
Les cantons tiennent tout de même à laisser les élèves libres de choisir s'ils veulent adopter ces nouvelles méthodes ou s'ils veulent continuer avec l'écriture "traditionnelle". En revanche, dès 2023, seule l'orthographe "rectifiée" sera enseignée.
Et Jean-Pierre Siggen en est certain: cette simplification ne favorisera pas un relâchement chez les élèves. "Cela reste assez léger. Il n'y a pas de grande révolution, la langue reste ce qu'elle est", souligne-t-il, ajoutant que cette simplification de certains mots existe déjà depuis une trentaine d'années. "Donc elle a eu le temps d'entrer dans les moeurs. Maintenant, il est temps de faire officiellement la bascule et de l'enseigner."
Décision saluée par le corps enseignant
D'autres pays comme la France, la Belgique ou le Québec ont déjà validé officiellement l'orthographe "rectifiée". Des expériences dont la Suisse romande peut bénéficier.
Les enseignants accueillent d'ailleurs ces nouvelles méthodes avec enthousiasme. Dans un communiqué mercredi, le Syndicat des enseignant·es romand·es (SER) a salué la décision de la CIIP. L'organisation avait déjà abordé les principes de rectification de l'orthographe en 2019 et avait partagé la volonté des enseignants d'intégrer les principes de l'orthographe "rectifiée" dans leurs cours.
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fgn avec ats
Une simplification qui ne fait pas l'unanimité
Si l'orthographe simplifiée est plutôt saluée par les écoliers romands, qui y voient "plus de logique", le procédé en fâche toutefois certains, à l'image de Jean Romain, écrivain et enseignant genevois à la retraite.
Pour lui, une langue doit évoluer, certes, mais pas à pas, dans la douceur. "Au moment où vous arrivez avec des exigences, 'c'est comme cela que ça s'écrit et pas autrement', on n'est plus dans une évolution normale de la langue, qui est nécessaire. Evolution oui, mais révolution, non!", témoigne-t-il dans le 19h30.
Invité sur le plateau du 19h30, Quentin Mouron, également écrivain et enseignant, pense quant à lui que le problème n’est pas du côté de l’orthographe à proprement parler, mais du côté de ceux qui l’enseignent, et de leurs méthodes. "On décide de faire cela car on pense que c’est trop difficile pour les élèves, mais est-ce qu’on leur a demandé?", s’interroge-t-il. "Il n'y a pas de traumatisés de l'orthographe, mais des traumatisés de l'enseignement de l'orthographe." C'est de ce côté-là, selon lui, qu'il faudrait se pencher.