Cinquante ans après l'introduction du suffrage féminin, quarante ans après l'inscription du principe d'égalité dans la Constitution, trente ans après la première grève des femmes et deux ans après la grève féministe de 2019, "les revendications restent valables", dénonçaient les militantes dans leur appel à manifester.
L'adoption de la loi sur l'égalité date d'il y a vingt-cinq ans. Pourtant l'inégalité salariale s'est creusée, estime les collectifs. La pandémie de Covid-19 a une fois de plus montré que le travail des femmes n'est ni reconnu ni rémunéré correctement, dénoncent les militantes.
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Les salaires inférieurs, les emplois à temps partiel et le travail non rémunéré sont à l'origine des rentes "scandaleusement basses" des femmes, en moyenne d'un tiers inférieures à celles des hommes, relève l'Union syndicale suisse. Au rythme actuel, cet écart n'aura disparu que dans 80 ans.
Le mouvement féministe refuse également l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans, comme décidé il y a cinq jours par le Parlement. Un référendum sera lancé, mais pour l'heure, c'est à coup de chanson que les manifestantes ont exprimé leur désaccord.
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Trois temps forts
Par plus de 40 actions de protestation, mobilisations et manifestations, les femmes demandent donc "du respect!" avec de meilleurs salaires et de meilleures rentes. Lundi matin, la mobilisation a débuté par un "réveil violet". Dans plusieurs villes suisses, l'eau de certaines fontaines a été teintée de couleur violette, à l'aide de colorants alimentaires inoffensifs pour la santé.
Ensuite, les collectifs de la grève féministe se sont mobilisés au niveau national à trois occasions lundi. Des pique-niques et des stands ont été organisés dès midi, puis l'heure précise de 15h19 a été soulignée, "au moment de la journée où les femmes commencent à travailler gratuitement du fait des inégalités salariales". Des cortèges et manifestations ont ensuite été lancés dans plusieurs villes à 18h.
GENÈVE – Des Nations aux Bastions
Le cortège de la grève féministe genevoise avait rendez-vous sur la Place des Nations à 17h. Auparavant, des pique-niques festifs avaient eu lieu à la pause de midi dans tout le canton. Une foule de plusieurs milliers de personnes, selon la police, réunissait toutes les générations de femmes. Les slogans principaux étaient la dénonciation du patriarcat et l'inaction de la justice face aux violences faites aux femmes.
A 18h pile, les manifestantes ont observé une minute de silence, le poing levé, pour protester contre les violences sexistes et les féminicides. Un silence suivi d'un cri collectif, symptôme de la colère face aux discriminations et aux oppressions des femmes et des minorités. Des actions menées parallèlement dans les autres grandes villes suisses.
Le cortège a été séparé en plusieurs blocs – notamment pour respecter les mesures anti-coronavirus: les blocs des écoféministes, des paysannes, des étudiantes, des antiracistes. A noter que les deux premiers tiers du cortège sont en mixité choisie, c'est-à-dire sans homme cisgenre.
Le cortège a traversé tout Genève pour se terminer vers 20h dans le Parc des Bastions, au pied de la Vieille Ville, après avoir investi la Corraterie.
LAUSANNE – 10'000 personnes dans les rues
Une centaine de femmes se sont réunies à Lausanne à 15h19. Inégalités salariales, retraite à 65 ans ou abus sexuels sur le lieu de travail: autant de luttes qui continuent de les animer dans leur cause.
Réunies sur la Place du 14 juin, les militantes ont déploré la décision du Parlement fédéral d'augmenter l'âge de la retraite des femmes à 65 ans: "Pourquoi invoquer l'égalité pour nous faire travailler une année de plus?" s'est insurgée une oratrice. "Les inégalités touchent les femmes de toutes les générations".
Parmi les militants: des femmes âgées, des jeunes femmes, mais aussi des hommes. "J'ai une mère, c'est pourquoi je suis là", a confié l'un d'eux: "Nous avons besoin d'avoir un débat, où tout le monde se sent à l'aise".
L'événement a mobilisé les femmes dans toute la Suisse romande. Une cinquantaine de manifestantes valaisannes ont rejoint Lausanne en train "dans un wagon féministe" pour faire entendre "nos revendications d'une seule voix". Avant de monter en ville, elles se sont installées à la gare durant une heure, en tenue de vacances.
Et ce sont 10'000 personnes qui ont défilé pour crier leur colère selon les estimations de Keystone-ATS et 8'000, selon le service presse de la police municipale. La foule a commencé sa marche à 18h à la place rebaptisée Saint-Françoise pour l'occasion. Et a terminé son parcours à la place de la Riponne aux alentours de 20h.
Sous la chaleur écrasante, tous les styles ou presque se côtoyaient. Seins nus, visage couvert de paillettes ou harnais en cuir: les femmes n'ont pas hésité à défier les codes vestimentaires le temps d'une journée.
De manière générale, les militantes dénonçaient les inégalités salariales, l'augmentation de l'âge de la retraite à 65 ans ou encore les abus sexuels sur le lieu de travail. "C'est important pour moi de sensibiliser mes petites sœurs au sexisme et aux autres inégalités", a confié une jeune femme, venue accompagnée de trois enfants: "Elles vont certainement être confrontées à des violences de la part d'hommes cisgenres".
NEUCHÂTEL – Cinq minutes de silence
Les femmes neuchâteloises ont occupé depuis midi de manière pacifiste la Place du Marché à Neuchâtel et Espacité à La Chaux-de-Fonds. Elles ont fait entendre leurs quatorze revendications qui seront adressées au Grand Conseil, désormais à majorité féminine.
Parmi ces revendications, les femmes neuchâteloises demandent notamment à l'échelle du canton: un congé parental partagé entre pères et mères, une formation obligatoire sur les problématiques du genre, l'interdiction des affichages de publicité sexiste et discriminante selon les identités de genre et une allocation cantonale pour les proches aidants.
A 15h19, une centaine de femmes, dont la présidente d'Unia Suisse Vania Alleva, s'est réunie à Neuchâtel pour faire une pause féministe. Assises sur des linges de bain ou des chaises longues et protégées par des parasols, elles ont fait cinq minutes de silence pour symboliser l'écart d'inégalités salariées qui s'est creusé avec la pandémie. En 2019, l'heure symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement était à 15h24.
A 18h, les femmes de tout le canton se sont rejointes aux Jeunes-Rives à Neuchâtel pour un cortège en direction de la Place du Marché, où des discours ont été prononcés.
FRIBOURG – La place "Pythonne"
A Fribourg, le collectif de la Grève féministe avait donné rendez-vous à la population sur la place Pythonne rebaptisée où les militantes avaient dressé des stands didactiques autour des violences sexistes et sexuelles et de la réforme AVS21.
DELÉMONT – Un cortège de 500 personnes
Dans le canton du Jura, la journée a débuté avec un pique-nique canadien à Undervelier. Comme ailleurs en Suisse, des femmes ont marqué à 15h19 lors d'un rassemblement à Delémont l'heure à partir de laquelle elles ne sont plus payées.
Le cortège en soirée a rassemblé près de 500 personnes, une affluence qualifiée de "beau succès" par Danielle Siegfried, de l'association interjurassienne Grève des femmes.
BIENNE – 800 personnes réunies
A Bienne, une clameur s'est élevée à 15h19 de la Place centrale envahie par plus d'une centaine de personnes brandissant des pancartes en faveur de l'égalité et tenant des ballons violets. Le défilé en soirée a ensuite réuni quelque 800 personnes.
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vajo/sjaq avec ats
Aussi outre-Sarine
La mobilisation a été importante également en Suisse alémanique tout au long de la journée. A Bâle, la manifestation de 18h a réuni 4000 personnes.
Environ un millier de personnes se sont réunies à Lucerne et plusieurs centaines à Zurich.
Un outil d'analyse des salaires pour les petites entreprises
La Confédération met à la disposition des petites entreprises et organisations un outil en ligne pour vérifier l'égalité salariale. Elle veut donner aux employeurs la base nécessaire pour concrétiser le principe "à travail de valeur égale, salaire égal", inscrit dans la Constitution.
Cet outil est mis gratuitement à la disposition des entreprises de moins de 50 employés, indique lundi le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG).
L'introduction de cet outil, qui coïncide avec la grève des femmes, est l'une des mesures prioritaires de la stratégie Egalité 2030, adoptée en début d'année par le Conseil fédéral. Celle-ci fait de l'élimination de la discrimination salariale un objectif central.
La part inexpliquée de l’écart salarial entre femmes et hommes s'élève à 8,1% en moyenne, selon l'enquête 2018 sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Cela représente un manque à gagner de 686 francs par mois pour les femmes.
"Loin d'une société sans sexisme"
Au niveau politique, le PS souligne sur Twitter "que 50 ans après l'introduction du suffrage féminin et malgré la loi sur l'égalité, nous sommes encore loin d'une véritable égalité et d'une société sans sexisme". Dans une vidéo, plusieurs femmes, dont la coprésidente du parti, Mattea Meyer (ZH), expliquent pourquoi elles font grève.
Le PLR écrit aussi sur Twitter que ses élues ne défileront pas dans la rue lundi. Elles s'engageront en revanche concrètement pour l'égalité salariale, notamment avec l'initiative pour une imposition individuelle.
La grève des femmes a reçu le soutien de la Grève du Climat, qui appelle à participer aux différentes manifestations et actions prévues. Selon le mouvement, de nombreux points communs existent entre les deux luttes.