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L'épandage de vignes par hélicoptère, une spécificité romande qui résiste

Le traitement de la vigne par hélicoptère, une spécificité romande qui résiste malgré l'essor du drone
Le traitement de la vigne par hélicoptère, une spécificité romande qui résiste malgré l'essor du drone / 19h30 / 2 min. / le 5 juillet 2021
Interdit chez nos voisins, l'épandage de produits phytosanitaires par hélicoptère sur les vignobles n'a que légèrement diminué ces dernières années en Suisse, dévoile une enquête de la RTS. De plus en plus de vignerons passent à des traitements bio pour maintenir cette pratique.

Catastrophique pour les uns, indispensable pour les autres. De mai à août, des hélicoptères pulvérisent des vignobles de fongicides pour prévenir l'apparition de maladies. Malgré les critiques récurrentes des milieux écologistes, cette pratique reste très prisée en Suisse. Ou, plus précisément, en Suisse romande.

L'épandage de produits phytosanitaires par hélicoptère n'a lieu que dans quatre cantons, tous romands: le Valais, Vaud, Genève et Neuchâtel. La très grande majorité des vignes concernées se situent en Valais, dans le Chablais et en Lavaux, d'après les rapports d'opérations d'Air-Glaciers, seule entreprise autorisée en Suisse, que la RTS a obtenus auprès de la Confédération.

Moins de vignes traitées mais...

La pratique est de plus en plus chahutée. Des ONG, riverains et vignerons bio se plaignent de la "dérive", c'est-à-dire la dispersion de produits en dehors des zones à traiter. Certaines molécules sont considérées comme très toxiques pour l'environnement, voire de possibles cancérogènes (lire encadré).

Contrairement à l'Union européenne qui a interdit l'épandage aérien sauf dérogation, la Confédération s'est contentée de durcir sa réglementation. "On s'est battus pour maintenir l'hélicoptère pour des raisons humaines. On a des vignobles qui sont très durs, qui sont escarpés", justifie au 19h30 de la RTS Jean-Alexis Duc, vigneron et expert du traitement héliporté à Salgesch (VS). Selon lui, "l'hélicoptère est la meilleure des solutions".

Parmi les durcissements introduits en 2017, la Confédération a élargi les distances de sécurité entre le passage des hélicoptères et les habitations ainsi que les cours d'eau. Les nouvelles zones tampons, allant jusqu'à 60 mètres selon les produits utilisés, ont entraîné une baisse du vignoble traité depuis les airs. Celui-ci est passé de 1545 à 1150 hectares entre 2017 et 2020, soit un quart de moins en quatre ans.

... davantage de vols grâce au bio

Pourtant, les hélicoptères d'Air-Glaciers munis de pulvérisateurs volent presque toujours autant. Le nombre de vols oscille autour des 300 par année et la surface totale traitée se monte à plus de 8000 hectares (en comptant les différents passages), d'après les rapports d'opérations d'Air-Glaciers.

Cette constance s'explique par la transition vers l'épandage aérien bio, qui nécessite davantage de traitements pour une même surface, et donc davantage de vols qu'avec les produits issus de la chimie.

L'hélico sauvé par le bio?

Le passage vers le bio, c'est la grande évolution de ces dernières années. En 2017, 8 des 31 groupements de vignerons travaillaient avec des produits bio. En 2020, leur nombre est passé à 13, et 4 autres groupements pulvérisent partiellement en bio, toujours d'après les rapports des vols.

"Aujourd'hui, 60% des traitements sont déjà bio, sans produits de synthèse. C'est un bon pas en avant", explique Patrick Fauchère, responsable des opérations chez Air-Glaciers. "S'il faut faire du 100%, on est prêt. Mais c'est une décision qui vient des groupements de vignerons et des propriétaires."

Le canton du Valais pourrait leur forcer la main. Pour préserver l'hélicoptère, le Grand Conseil a accepté en mai un postulat demandant au Conseil d'Etat de généraliser le recours aux produits bio lors des traitements aériens, comme c'est le cas à Lavaux depuis cinq ans.

Le drone se développe

Une alternative à l'hélicoptère, c'est le drone. Son usage a été simplifié en 2019 par la Confédération. Celle-ci a introduit des règles souples, tant au niveau des produits autorisés que des zones de sécurité, pour favoriser son essor face à l'hélicoptère.

Le centre de compétence de la Confédération pour la recherche agronomique, Agroscope, écrivait alors: "Comme il est bien connu que l'épandage par hélicoptère provoque de nombreuses discussions sur la pollution sonore et la dérive des produits phytosanitaires, l'objectif est d'éliminer ces inconvénients par l'utilisation de nouvelles technologies".

Pour l'instant, le drone se développe surtout là où l'hélicoptère ne peut plus pulvériser. "On ne pouvait plus traiter certaines parcelles à l'hélico parce qu'elles étaient proches de cours d'eau, de forêts. Comme la dérive est plus courte avec le drone, on a plus de possibilités de travailler ces parcelles difficiles", explique Frédéric Dumoulin, vigneron à Sion.

Le leader sur le marché, Agri.Aero, grandit rapidement. L'entreprise valaisanne indique avoir traité environ 100 hectares en 2020 et en prévoit le double cette année, dont près de la moitié était pulvérisée par hélicoptère par le passé.

"L’hélicoptère a pas mal de restrictions en termes de distance et d’utilisation de produits, chose que le drone n’a pas, car on est considérés comme un moyen de traitements au sol, au même titre qu’un atomiseur", explique Sébastien Micheloud. Le directeur d'Agri.Aero ajoute que huit fois sur dix, ses drones embarquent des pesticides de synthèse.

L'hélicoptère moins cher

Mais l'hélicoptère reste imbattable pour les grandes surfaces, selon plusieurs observateurs. D'après les chiffres avancés par les entreprises concernées, il s'avère beaucoup plus rapide et, surtout, plus économique que le drone. Un hectare traité par hélicoptère coûte environ 4500 francs, contre 6000 francs pour un drone, soit 33% plus cher.

Il faudra probablement encore attendre plusieurs années avant que le drone ne représente une réelle concurrence pour l'hélicoptère. De quoi prolonger les discussions sur les risques pour la santé publique et l'environnement liés à la dérive des produits pulvérisés du ciel.

Valentin Tombez et Yoan Rithner

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Du lait maigre pour remplacer des fongicides décriés

Qu'est-ce que les hélicoptères pulvérisent sur les vignes? Concernant les programmes d'épandage traditionnels, la liste des produits autorisés, bien plus réduite que pour les traitements au sol, se limite aux fongicides.

Plusieurs d'entre eux contiennent du folpet, une substance très utilisée pour lutter contre le mildiou. Mais cette molécule est aussi "très toxique pour les organismes aquatiques" et "susceptible de provoquer le cancer", d'après l'index des produits phytosanitaires de l'Office fédéral de l'agriculture. Ce qui en fait une cible privilégiée des défenseurs de l'environnement.

Concernant les programmes bio, la lutte contre le mildiou et l'oïdium se fait essentiellement à partir d'un mélange de cuivre (bouillie bordelaise), de soufre et de... lait maigre. Ce dernier sert notamment à fixer le mélange sur la plante et son sucre permet de réduire les quantités de cuivre utilisées.

Important retard dans la digitalisation des données

La nouvelle législation introduite en 2017 prévoit la création de cartes digitales de l'épandage par hélicoptère. Elles doivent améliorer le suivi des traitements et permettre de calculer précisément les distances de sécurité entre les parcelles traitées et les habitations ainsi que les zones protégées, alors que plusieurs débordements en dehors des nouvelles zones tampons ont été signalés depuis leur introduction.

Problème, ces cartes se font toujours attendre. Selon nos informations, certains cantons, en charge de leur création, traîneraient les pieds… En attendant, l'autorité de surveillance, l'Office fédéral de l'environnement, se base toujours sur des cartes qui datent de 25 ans, probablement pas à jour.