La scène est difficile à comprendre: un épandeur à fumier qui broie et déverse des tonnes de tomates et de salades, impossible à vendre. C'est ce qui s'est produit il y a deux mois dans le Nord vaudois, a appris la RTS. Ce gaspillage alimentaire a choqué celles et ceux qui ont assisté à ce spectacle. Les denrées en question étaient propres à la consommation. Elles ont pourtant été détruites et dispersées dans un champ.
Il ne s'agit pas ici d'un problème de surproduction lié aux aléas météorologiques, ni de calibrage de la marchandise. Les producteurs de ces denrées n'ont tout simplement pas trouvé d'acheteurs. Ceux-ci ont préféré se fournir à l'étranger, à des prix inférieurs. Une information confirmée par l'Union maraîchère suisse (UMS) qui évoque au moins deux autres cas similaires, dont un concerne l’épinard.
Système à deux phases
Les acheteurs ont le droit d'importer plutôt que d'acheter local. En Suisse, il existe pour chaque produit une période administrée et une période non administrée. Les importations sont illimitées durant cette deuxième phase. En revanche, la production indigène est protégée par des droits de douanes en période administrée, avec des contingents d'importation possible.
La tomate suisse, par exemple, est protégée entre le 1er juin et le 30 septembre. Au-delà, elle est soumise à la concurrence étrangère. Pour le concombre, la période s'étale du 12 mai au 8 octobre. C’est comme cela pour chaque fruit et légume helvétique.
"Cela fonctionne bien mais l'évolution de la nature, du réchauffement climatique et des techniques de production font que les périodes qui ont été définies il y a une trentaine d'années via les accords de l’OMC ne correspondent plus forcément à la réalité des cultures", explique Xavier Patry, directeur de l'Union maraîchère genevoise (UMG).
Périodes remises en cause
Aujourd'hui, ce système est remis en cause. Les producteurs sont capables de proposer des produits frais plus tôt et plus tard dans l'année.
Reprenons l'exemple de la tomate: les maraîchers suisses peuvent en vendre dès le mois de mars et jusqu'en novembre. Or, ils ne sont protégés que quatre mois sur les neuf exploitables. Dès lors, ils se retrouvent en concurrence directe avec des produits d'importation moins chers pendant cinq mois. C'est là que l'on peut assister à la destruction de fruits et légumes locaux, comme dans la région d’Yverdon-les-Bains.
Guerre des prix
Contactés par la RTS, les quatre grands distributeurs helvétiques - Migros, Coop, Aldi et Lidl - assurent que la marchandise indigène est leur priorité. Ils affirment importer des produits uniquement en cas de manque sur le marché intérieur.
L'Union maraîchère suisse, elle, évoque une guerre des prix particulièrement rude entre ces distributeurs. Cela les amènerait parfois à importer plutôt qu'à acheter local, que ce soit en période administrée ou non. Le phénomène serait d'ailleurs en augmentation depuis quelques années.
Raphaël Leroy/gma
Accords avec l'OMC
Changer les règles et élargir les périodes protégées pour les fruits et légumes pourrait être une solution pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Mais pour cela, il faudrait déjà que les producteurs le demandent. L'Union maraîchère suisse y réfléchit.
"C'est une demande que l'on peut comprendre. Mais il faut savoir que ces périodes font partie d'accords globaux avec l'Organisation mondiale du commerce, c'est très compliqué de les faire varier", indique Florie Marion, porte-parole de l'Office fédéral de l'agriculture.
La Confédération est tenue par ses engagements internationaux, qui prévoient notamment un accès minimal à son marché intérieur. Par ailleurs, elle se doit d'assurer que la demande indigène soit toujours satisfaite. Il faudrait donc être sûr que les producteurs cultivent en quantité suffisante. Aujourd’hui, selon l’UMS, ils couvrent 55% de l’offre annuelle de légumes frais, par exemple.
Il existerait toutefois une possibilité d’ajuster ces périodes de production, en grapillant quelques jours dans ce qui est déjà autorisé par l'OMC. Car actuellement, certaines périodes protégées établies par la Suisse sont plus courtes que ce qui est légalement possible.
"Les distributeurs suisses n'ouvrent que très peu la porte au dialogue"
Pour le conseiller national vaudois Jacques Nicolet, cette situation est possible d'une part car elle symbolise la "triste réalité" de l'offre et de la demande, mais surtout car "la grande distribution impose un bras de fer trop puissant".
Invité de Forum lundi, celui qui est également agriculteur et président de l'ASSAF, l'Association suisse pour un secteur agroalimentaire fort, déplore le manque de discussions entre distributeurs et producteurs.
"On a quatre grands distributeurs en Suisse qui ouvrent très peu la porte au dialogue. Ils se livrent une guerre sans merci entre eux pour savoir qui vendra le moins cher le produit et c'est donc le producteur qui trinque", explique encore l'élu UDC.