La Suisse a-t-elle joué un rôle dans le scandale des pensionnats autochtones au Canada?
A ce stade, s'il est difficile de l'affirmer avec certitude, l'historien Manuel Menrath, spécialiste des missions suisses en Amérique du nord, juge fort probable que la Suisse ait joué un rôle dans le scandale des pensionnats autochtones canadiens.
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Pour écrire son dernier livre paru en 2016, il a en effet rencontré de nombreux indigènes canadiens étant passés par ces internats. Et plusieurs d'entre eux lui ont confié avoir été convertis au catholicisme par des missionnaires suisses.
Histoire semblable aux Etats-Unis
Autre indice qui laisse penser que des religieux venus de notre pays pourraient être impliqués: la même histoire s'est jouée aux Etats-Unis à la même époque, et là, elle est documentée depuis 2016.
Une des figures majeures du volet américain s'appelle Martin Marty. En 1860, ce moine bénédictin de l'abbaye d'Einsiedeln, dans le canton de Schwyz, était parti dans l'Etat de l'Indiana pour fonder Saint Meinrad, une abbaye encore existante. Devenu par la suite évêque dans l'Etat du Dakota, son rôle a notamment été de convertir les enfants sioux au christianisme, comme le relate Urban Federer, lʹactuel abbé du monastère bénédictin dʹEinsiedeln.
L'Eglise, à mon avis, a adopté cette attitude car elle pensait que la culture occidentale était supérieure à la culture indigène
"Martin Marty a aussi fondé des internats où les enfants ont été enlevés à leurs parents", raconte-t-il au micro de Forum, déplorant le sort qui leur était réservé. "Le traitement des indigènes est diamétralement opposé au message des Evangiles, car on a séparé les enfants des parents. L'Eglise, à mon avis, a adopté cette attitude car elle pensait que la culture occidentale était supérieure à la culture indigène", détaille-t-il, se distanciant clairement des agissements de son confrère.
Pour Urban Federer, qui a préfacé le livre de Manuel Menrath sur le rôle des missionnaires suisses aux Etats-Unis, la lumière doit désormais être faite. Ne serait-ce que par respect pour les descendants des victimes.
"C'est vrai que les victimes ne vivent plus aujourd'hui, mais les conséquences sont encore là. Par exemple, des indigènes aux Etats-Unis et au Canada souffrent aujourd'hui d'alcoolisme et de pauvreté à cause de cette histoire", souligne-t-il.
Excuses attendues de l'Eglise
Du côté de la Conférence des évêques de Suisse, elle ne se prononce pas et renvoie aux ordres religieux. Ce sont eux qui sont partis au milieu du 19e siècle craignant pour la survie de leurs monastères, au moment où s'opposaient conservateurs et radicaux dans notre pays.
"C'est vrai que la Conférence des évêques de Suisse n'a jamais envoyé des missionnaires aux Etats-Unis et au Canada", confirme Urban Federer.
Quoi qu'il en soit, les indigènes canadiens espèrent des excuses de l'Eglise. Urban Federer veut croire que le pape François trouvera le moment opportun pour présenter le mea-culpa de l'Eglise, comme il l'avait fait en 2015 en Amérique du Sud, lorsqu'il avait transmis ses excuses au nom de l'Église catholique pour les "péchés" et les "blessures" infligées aux peuples autochtones lors de l'arrivée des colons européens.
Céline Fontannaz/fgn