Du personnel soignant dans l'unité des soins intensifs du CHUV. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
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Infirmières, infirmiers: radiographie d'une vocation

Ils ou elles ont choisi d’être infirmiers ou infirmières, souvent par vocation. Après un an et demi de mobilisation contre la pandémie, que reste-t-il de leur motivation? Quel regard portent-ils sur leurs fonctions? Quelle est leur vision de la société?

Série de témoignages dans Forum sur l’état de santé des infirmières et infirmiers de Suisse.

Propos recueillis par: Mehmet Gultas

Adaptation web: Victorien Kissling

Marie-Pierre Chambet Cousin

Infirmière en soins intensifs, Neuchâtel

"En mars 2020, on espérait encore que cette pandémie n'arrive pas jusqu'à nous", relate Marie-Pierre Chambet Cousin, infirmière en soins intensifs et donc en première ligne face aux conséquences dévastatrices du Covid-19, en se souvenant des images des hôpitaux italiens submergés.

"Les cadres, l'organisation, la logistique et tous les services autour de nous avaient commencé de préparer la crise. Nous, on a été un peu mis devant le fait accompli, et on a dû partir au front", raconte-t-elle, en précisant que si les pathologies étaient connues, c'est leur nombre qui était impressionnant: "Il n'y avait plus que ça!"

"Mais l'ambiance était bonne, il y avait un sentiment d'entraide", souligne Marie-Pierre Chambet Cousin en évoquant notamment les anesthésistes ou les anciens membres du personnel à la retraite venus en renfort. "On était aussi boosté par la population qui nous applaudissait le soir! Et à la fin de la première vague, nous avons obtenu une valorisation, avec des jours de congé offerts par l'hôpital."

Le personnel soignant attend une revalorisation, même si elle coûte cher, car on a des responsabilités importantes, on a la vie de personnes entre nos mains, on est nécessaires.

Marie-Pierre Chambet Cousin, infirmière en soins intensifs

Mais à la deuxième vague, après l'été, tout change: "Il n'y avait plus de témoignage de la population, très peu de marques de soutien de l'extérieur. Mais on était là, et prêts à retourner au front", explique-t-elle, témoignant toutefois d'une fatigue, d'une lassitude, et de l'impression de ne pas voir la fin.

Ce d'autant plus que le métier ne lui semble pas suffisamment valorisé. "On nous a encensés, nous disant 'heureusement que vous êtes là', et parallèlement le Conseil fédéral vient de refuser l'initiative sur les soins infirmiers en mettant un contre-projet adouci. Le personnel soignant attend une revalorisation, même si elle coûte cher, car on a des responsabilités importantes, on a la vie de personnes entre nos mains, on est nécessaires".

Quant à l'avenir, l'infirmière en soins intensifs est soucieuse. "Avec l'été, les réouvertures, il y a un vrai risque de quatrième vague, même si la vaccination change un peu la donne. Mais les gens non vaccinés sont la fragilité du système." "Au niveau psychique, on a envie d'y retourner, parce qu'on a une conscience professionnelle et on est là pour ça, mais au niveau physique, le corps a ramassé, et on ne l'écoute peut-être pas assez", conclut-elle.

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Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (1-5): la motivation du personnel soignant
Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (1/5): la motivation du personnel soignant / Forum / 10 min. / le 26 juillet 2021

Sandra Meylan

Infirmière en EMS, Valais

"Le chamboulement a été rapide et brutal", se souvient Sandra Meylan, infirmière en EMS en Valais, qui aurait dû en plus partir en vacances au soir du 13 mars 2020. "On a appris d'un coup que nos établissements seraient fermés, et on attendait d'avoir des directives pour savoir comment prendre soin des résidents, et rassurer les familles, ainsi que certains collègues peu habitués à ces questions sanitaires."

On a perdu nos repères, parce que d'un coup, on n'a plus les liens avec les familles, on doit commencer à faire attention aux distances... Alors que notre métier est justement d'animer la vie au quotidien.

Sandra Meylan, infirmière en EMS

"Il a fallu très vite trouver du matériel de base en suffisance, comme des masques ou des gants, et s'adapter aux nouveaux gestes techniques. A-t-on suffisamment d'appareils à oxygène? Va-t-on devoir hospitaliser des résidents?", se rappelle-t-elle. Et de souligner le changement important de l'orientation de son travail quotidien, elle qui avait choisi la gériatrie pour le réconfort, pour les contacts humains, les valeurs, bien davantage que pour ces questions techniques.

"On a perdu nos repères, parce que d'un coup, on n'a plus les liens avec les familles, on doit commencer à faire attention aux distances... Alors que notre métier est justement d'animer la vie au quotidien", détaille Sandra Meylan.

Dans un EMS, le Covid est particulièrement proche, que ce soit avec des collègues qui tombent malades ou des résidents et résidents qui décèdent. "Heureusement, il y a eu beaucoup de solidarité dans les équipes, avec des remplacements spontanés. Mais c'est vrai que les décès ont été très difficiles, parce qu'on ne pratique normalement pas comme ça l'accompagnement à la fin de la vie. On a dû improviser les choses autrement."

Sandra Meylan évoque aussi l'impression d'avoir été "confinés avec les résidents". "On avait des quarantaines sociales. On a dû faire continuellement le lien avec les familles en innovant, par exemple avec des conversations en visioconférence ou des contacts depuis les balcons." Elle conclut sur une note plus optimiste en se rappelant l'émotion des pensionnaires lors des premières visites des familles après le confinement. "Revoir de la joie, des échanges de regard, ça donne du sens à mon travail qui n'en a pas sans les partenariats."

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Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (1-5): une infirmière d'EMS (vidéo)
Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (2/5): une infirmière d'EMS (vidéo) / Forum / 9 min. / le 27 juillet 2021

Nathalie Dugué

Infirmière en soins à domicile, Vaud

"Le début de la pandémie en mars 2020 a été une révolution dans ma vie professionnelle, notamment dans l'organisation", précise d'emblée Nathalie Dugué, infirmière en soins à domicile, spécialisée dans les soins palliatifs adultes et pédiatriques.

A l'époque, elle était salariée d'une institution qui lui demande de pratiquer déjà une forme de "triage". "J'avais 70 personnes à ma charge, et il a fallu décider de réduire les soins, ce qui m'a déstabilisée", concède-t-elle en expliquant ne pas avoir été "d'accord avec le principe" puisque les patientes et les patients "étaient déjà vulnérables avant même le début de la pandémie".

"En plus, on nous expliquait le danger qu'on représentait, puisqu'on pouvait être contagieux. C'était la première fois de ma vie que je pouvais être dangereuse pour quelqu'un", se remémore-t-elle en précisant avoir eu peur de contaminer les autres, mais ne pas avoir eu peur pour elle.

J'ai conscience que ce virus est encore là, qu'il me suit au quotidien. Je soigne encore des gens malades ou en quarantaine. Je reste dans un état d'hypervigilance.

Nathalie Dugué, infirmière en soins à domicile

Elle raconte toutefois une anecdote sur son premier jour de travail au début du confinement. "Je me suis retrouvée devant un premier ascenseur, en me disant qu'il faut que j'appuie sur le bouton. Mais je l'ai vu comme un bouton contagieux, je suis montée à pied les dix étages... C'est là que j'ai pris conscience de la dimension de cette pandémie."

Après s'être sentie en décalage avec les directives de son institution, dont elle a démissionné pour devenir indépendante, Nathalie Dugué s'est aussi sentie en décalage avec la population. "Je m'étais mise dans un état d'hypervigilance, à la maison, au travail. Et à la sortie du premier confinement, quand tout le monde a repris plus ou moins sa vie d'avant, j'ai eu le sentiment que personne ne se rendait compte de ce que nous, on venait de faire".

Aujourd'hui, elle explique n'avoir pas encore envie de retrouver une vie sociale. "J'ai conscience que ce virus est encore là, qu'il me suit au quotidien. Je soigne encore des gens malades ou en quarantaine. Je reste dans cet état d'hypervigilance."

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Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (3-5): une infirmière en soins à domicile
Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (3/5): une infirmière en soins à domicile / Forum / 10 min. / le 28 juillet 2021

Muriel Malet

Infirmière en soins psychiatriques, Genève

Lors de la première vague de Covid en mars 2020, c'est "l'étonnement" qui a prévalu chez les patientes et patients de Muriel Malet, infirmière en soins psychiatriques à domicile, dans le métier depuis en trentaine d'années. "Puis il y a eu la peur, de tomber malade, que leurs proches tombent malades, et la peur de mourir."

Cette expérience a "déstabilisé de nombreuses personnes pourtant stables les mois précédents", relate-t-elle, en évoquant des symptômes d'angoisse, d'insomnie, de peur à la tombée de la nuit. "Et une grande perte d'espoir. Les personnes ne pouvaient plus se projeter dans l'avenir, et le danger était bien sûr le suicide, mais aussi les violences conjugales".

L'expérience de la pandémie m'a rappelé l'importance du lien, du toucher, de l’expression du visage.

Muriel Malet, infirmière en soins psychiatriques à domicile

Muriel Malet évoque également les patientes et patients qui, à l'inverse, étaient en mode "cocooning" pendant le confinement et ont eu beaucoup de mal à ressortir ensuite. "C'est le syndrome de la cabane." "La pandémie a donné naissance à une pandémie de dépression", souligne-t-elle également.

Quant à son expérience personnelle, l'infirmière en soins psychiatriques explique avoir dû "réajuster le focus", se "remettre en question", notamment à cause du port du masque, qui complique les relations humaines. "L'expérience de la pandémie m'a rappelé l'importance du lien, du toucher, de l’expression du visage, et du contexte", analyse-t-elle.

"Les patients ne nous disent pas tout. L'expression non-verbale est donc indispensable", conclut Muriel Malet.

Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (4-5): une infirmière en soins psychiatriques
Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (4/5): une infirmière en soins psychiatriques / Forum / 10 min. / le 29 juillet 2021

Leandro Pinto Pereira

Etudiant en soins infirmiers, Fribourg

"Je pratiquais beaucoup de sport, mais j'ai souvent été blessé, ce qui m'a contraint à fréquenter les hôpitaux. J'y ai découvert la profession d'infirmier, ce qui m'a convaincu de m'y lancer", raconte Leandro Pinto Pereira, 23 ans, étudiant en troisième année de bachelor en soins infirmiers, pour justifier sa vocation.

Le métier d'infirmier m'offre beaucoup de possibilités. Je peux l'exercer de plein de manières différentes.

Leandro Pinto Pereira, étudiant en troisième année de bachelor en soins infirmiers

A la question de savoir s'il n'a pas été rebuté par les aspects négatifs du métier, considéré comme peu valorisé, sous-payé et compliqué pour concilier vie privée et vie professionnelle, Leandro Pinto Pereira répond sans hésiter: "Non, pas du tout. Parce que travailler auprès de l'humain me motive."

Le jeune homme y voit également une ouverture pour l'avenir. "Le métier d'infirmier m'offre beaucoup de possibilités. Je peux l'exercer de plein de manières différentes, en développement des aspects que j'aime." Il évoque par exemple, à long terme, l'idée d'enseigner et de transmettre des savoirs.

Quant à la pandémie de Covid, il explique qu'elle a surtout eu un impact sur l'organisation de ses études. "On a concentré toute la pratique en une seule fois, avec trois stages à la suite", raconte-t-il. Et s'il reconnaît que "la peur était présente" lors de la première vague, il n'a pas hésité à se porter volontaire pour monter au front en tant qu'aide-infirmier. "Aller au travail ne me posait pas problème, mais rentrer à la maison oui, par peur de contaminer des proches".

Malgré une situation exceptionnelle, "je sors des études avec énormément d'apprentissages et de compétences. Et je suis motivé par tout ce que je peux encore réaliser à l'avenir en tant que professionnel", conclut-il.

Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (5-5): un étudiant en soins infirmiers
Infirmières, infirmiers, radiographie d'une vocation (5/5): un étudiant en soins infirmiers / Forum / 9 min. / le 30 juillet 2021