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Berne déclenche la polémique en choisissant des partenaires chinois et américains pour stocker ses données

En choisissant des entreprises américaines et chinoises pour stocker des données, la Confédération déclenche la polémique
En choisissant des entreprises américaines et chinoises pour stocker des données, la Confédération déclenche la polémique / 19h30 / 3 min. / le 29 juillet 2021
La Confédération peut-elle confier la gestion de ses données à des entreprises chinoises ou américaines? Pour la Chancellerie fédérale, c'est oui. Elle vient d'adjuger un contrat de 110 millions au chinois Alibaba et à quatre géants américains pour héberger son cloud public. De plus en plus de spécialistes s'élèvent contre cette décision au point d'envisager le lancement d'une initiative populaire.

L'orage menace dans le ciel numérique helvétique. La Confédération souhaite stocker des données et faire tourner ses logiciels sur des serveurs situés ailleurs qu'en Suisse dans ce qu'on appelle un cloud (informatique en nuage).

Les services Cloud, de plus en plus utilisés dans le monde entier, représentent déjà un enjeu de plusieurs milliards de dollars qui impliquent tous les GAFAM.

Une adjudication de la Chancellerie fédérale prenant la forme d'un mandat de 110 millions de francs adjugé au chinois Alibaba et à quatre autres géants américains (Amazon, Microsoft et Oracle) a mis le feu aux poudres. Cette décision inquiète, car elle pourrait mettre en péril la souveraineté numérique du pays.

>> Lire : Le cloud de la Confédération fourni par quatre géants américains et Alibaba

"Une propension naturelle des Etats à la surveillance"

"On sait comment fonctionnent un certain nombre de ces Etats et je dirais que depuis 2013 et les révélations d'Edward Snowden, on sait également que les Etats ont une propension naturelle à venir se loger dans la surveillance et l'observation d'autres Etats", explique Jean-Henry Morin.

Selon ce professeur des systèmes d'informations à l'Université de Genève, le pire est qu'en exigeant une présence sur trois continents, l'appel d'offre excluait dès l'origine tout prestataire suisse, alors qu'ils pourraient tout à fait remplir ce mandat techniquement et garantir la souveraineté.

>> Réécouter le reportage de La Matinale :

Les spécialistes de la protection des données militent pour un stockage en Suisse. [Cultura Creative/AFP - Mischa Keijser]Cultura Creative/AFP - Mischa Keijser
La souveraineté numérique en Suisse passera-t-elle par une votation populaire? / La Matinale / 1 min. / le 23 juillet 2021

Exclu d'entrée comme tous les autres prestataires suisses, Infomaniak invoque aussi l'argument de la souveraineté numérique. Avoir ses serveurs en Suisse est un des éléments, mais encore faut-il que le propriétaire des serveurs et des logiciels ne dépende d'aucune juridiction étrangère. Une indépendance totale que revendique Infomaniak.

"Avec nous, effectivement, on peut parler de souveraineté, parce qu'il n'y a que nous qui avons les clefs. L'entreprise appartient exclusivement à ses fondateurs et à ses employés, qui sont uniquement basés à Genève et à Winterthour avec, bien sûr, un for juridique en Suisse", détaille Thomas Jacobsen, responsable de la communication de la firme.

Une solution de facilité ?

La Confédération est cliente des GAFAM depuis longtemps, ne serait-ce qu'avec ses licences Windows, admet Infomaniak. Mais jusqu'alors, tout se passait sur site. Migrer vers leurs nuages représente quelque chose de bien différent.

"C'est un peu avec le couteau sous la gorge que ces administrations et ces autorités doivent migrer leurs données dans le Cloud. C'est aussi beaucoup plus facile de travailler avec ces acteurs, mais plus facile ne veut pas dire que cela correspond au but que se fixe la Confédération, à savoir avoir un Cloud souverain", ajoute Thomas Jacobsen.

"Différents types de Cloud utilisés"

Interpellée, la Chancellerie fédérale ne s'exprime pas sur l'appel d'offre, qui fait l'objet d'un recours, notamment de la part de Google. Elle précise toutefois qu'elle exploite différents types de Clouds, y compris internes.

>> Lire à ce sujet : Google recourt contre le choix des fournisseurs pour le "cloud" de la Confédération

"Les infrastructures numérique de l'administration fédérale comprennent non seulement des nuages publics, mais aussi des nuages privés de fournisseurs de prestations internes et d'autres services d'infrastructures, fournis à partir des centres de calculs internes", détaille l'administration à la RTS.

Pour Thomas Jacobsen, une chose est certaine, la Suisse se trouve aujourd'hui à une "intersection" et à "un carrefour de questionnements" qui doivent être débattus.

"Je pense que ce qui est en train de se développer autour de cette industrie numérique nous questionne aujourd'hui (...), à savoir dans quelle société de l'information veut-on vivre et je pense que celle qu'on essaie de nous vendre n'est pas celle qui est désirable ni souhaitable", renchérit de son côté Jean-Henry Morin.

Le débat pourrait un jour bel et bien avoir lieu, avec une initiative populaire en préparation qui entend inscrire la souveraineté numérique dans le Constitution.

pj/ther adapté du 19h30

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