Au printemps dernier, Denise Tonella est devenue la directrice du Musée national suisse. Mi-juillet, on apprenait que la Belge Ann Demeester allait prendre les rênes du prestigieux Kunsthaus de Zurich.
Ces deux femmes sont jeunes, la quarantaine. Leur nomination ne sonne pas comme un poste de fin de carrière. Et elles succèdent toutes les deux à des hommes. Pour Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée des Beaux-Arts du Locle, ce changement dans les musées reflète celui de la société. Elle se sentait seule au début de sa carrière.
"Les postes de direction étaient vraiment des postes tenus par des hommes, et les décisions étaient prises par les hommes. Je le sentais de manière forte pendant toutes les années où j’ai appris mon métier", a-t-elle confié dans La Matinale.
Pas une première
Nathalie Herschdorfer sentait un plafond de verre pour accéder aux postes de direction. "J’ai senti, dans ma carrière, que le fait d’être une femme – plutôt jeune aussi – était considéré comme étant moins sûr, moins sérieux."
Isabelle Raboud-Schüle, présidente de l'Association des musées suisses, qui vient de prendre sa retraite à la tête du Musée Gruérien de Bulle, rappelle qu'il y a déjà depuis trois générations des femmes qui sont à la direction de grandes institutions. "Je déplore un peu qu’on oublie qu’il y a déjà eu une directrice femme au Musée national à Zurich, qu’il y a déjà eu beaucoup de musées cantonaux dirigés par des femmes."
"Peut-être que ça laisse moins de souvenir, peut-être aussi parce qu’il y a un léger recul de la progression des femmes, mais je pense important de dire qu’il y a déjà eu des choses qui ont été obtenues. Donc aujourd’hui, ce n’est pas exceptionnel qu’une femme accède à ces postes. C’est juste normal", conclut Isabelle Raboud-Schüle.
Les nominations se succèdent
Le monde des musées reste traditionnellement masculin. Les femmes sont majoritaires dans certains postes: médiation, communication, conservation. Mais pas comme directrices.
Mais les temps changent. Plusieurs femmes ont été nommées en 2019 à la tête de grandes institutions, après des hommes. On peut citer le Musée Olympique, le Chaplin's World, le Musée Rietberg.
Et depuis 5 ans, Nina Zimmer a succédé à des hommes à la direction du Centre Paul Klee et du Kunstmuseum de Berne. Pour une égalité plus rapide, certaines plaident pour des quotas. D'autres pensent qu'il faut changer les procédures de sélections, trop opaques.
Pas de statistiques
Isabelle Raboud-Schüle souhaite que le genre ne soit même plus une question. "Quand j’ai été nommée en 2006, un journal de Suisse romande a mis une manchette disant ‘une femme à la tête du Musée Gruérien’. Ça m’a laissé une drôle d’impression, parce que ça veut dire que quelque part on félicitait les Fribourgeois d’avoir enfin choisi une femme."
Mais cette femme n’avait ni de nom ni de compétences, "donc j’ai trouvé ça assez peu gratifiant finalement. Et j’espère quand même avoir été nommée pour mes compétences. En tant que femmes on a toujours encore l’impression qu’on doit encore faire ses preuves".
Actuellement, il n'y a pas de chiffres précis sur les postes à responsabilité dans les musées, ni à l'Office fédéral de la culture, ni à l'Office fédéral de la statistique. Et ce manque de données est aussi pointé du doigt.
Une lente évolution
Sur son site, Suisse Tourisme met en avant dix musées "qui garantissent un plaisir artistique au plus haut niveau". Il y a six ans, ils étaient tous dirigés par des hommes. Maintenant, il y a trois directrices, et bientôt quatre quand Ann Demeester prendra les rênes du Kunsthaus de Zurich.
Une étude de l'Université de Bâle, parue en juin, montre que les femmes sont sous-représentées dans les fonctions de gestion et de direction artistique: 34,5% de femmes à la tête des directions et vice-directions.
Elles sont aussi peu présentes sur les scènes et dans les arts visuels. Les femmes représentent un tiers des expositions collectives, 26% pour les expos individuelles.
Un autre regard
Nathalie Herschdorfer est convaincue qu'une directrice peut changer le contenu des expositions. "On se rend compte qu’il y a une histoire de l’art à réécrire, et les femmes sont certainement plus sensibles à cette volonté d’ouvrir les portes des musées à des artistes femmes. Et si les institutions le font, clairement cela aura une influence sur le marché de l’art, puisque les collectionneurs vont aussi être influencés dans les acquisitions, les galeries vont aussi être influencées dans les artistes qu’elles vont représenter".
Cette année en Suisse, il y a de belles expositions consacrées aux femmes. Notamment deux au Kunstmuseum de Bâle et une à la Fondation Beyeler. Les trois sont produites par des femmes. Et à voir s'il n'y a pas cette année un effet "anniversaire des 50 ans du droit de vote des femmes".
Pauline Rappaz/pwa
France: Laurence des Cars, du musée d'Orsay au musée du Louvre
A la tête de deux temples de l'art en l'espace de quatre ans: future présidente-directrice du Louvre, Laurence des Cars dirige le musée d'Orsay à Paris, où elle a développé une programmation innovante et ouverte aux jeunes générations.
Elle sera au 1er septembre la première femme à accéder à la tête du Louvre, le plus grand musée du monde.
Fille du journaliste et écrivain Jean des Cars, petite-fille du romancier Guy des Cars, cette spécialiste de l'art du XIXe et du début du XXe siècle se veut une directrice de son temps, se mobilisant pour un accès plus large des jeunes au musée, pour les restitutions d'oeuvres spoliées par les nazis ou encore pour des expositions en lien avec des débats d'actualité.
Cette femme de 54 ans a été notamment derrière l'expo-évènement "Le modèle noir" en 2019 au musée d'Orsay, qu'elle préside depuis quatre ans et qui connaît un succès tel qu'elle a décidé d'en élargir les espaces.
Sous son mandat, le nombre de visiteurs d'Orsay, l'un des plus grands musées d'Europe pour la période allant de 1848 à 1914, n'a cessé de croître: jusqu'à 3'700'000 visiteurs en 2019, avec un niveau d'auto-financement atteignant 64%. (afp)