Alors que les talibans ont reconquis la quasi-totalité de l'Afghanistan, les organisations humanitaires et la gauche font pression pour que la Suisse accueille plus de réfugiés. Berne n'est toutefois pas prête à franchir ce pas.
"Je comprends la demande", a assuré la cheffe du Département de justice et police Karin Keller-Sutter devant les médias à Berne ce mercredi. Mais l'ONU commence à peine à évaluer la situation sur place. Une analyse des besoins doit être effectuée, avant toute action. "La Suisse ne peut pas décider toute seule d'établir un programme de réinstallations."
"La Suisse sera sur place"
"On peut tout faire, mais aussi des dégâts. Il faut une action réfléchie et structurée. Laissons les organisations compétentes nous dire quels sont les besoins", a abondé le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Et d'assurer que le corps d'aide suisse était prêt à intervenir "dès ce soir" si nécessaire.
"La Suisse ne reste jamais les bras croisés", a-t-il poursuivi. Ce sont les pays voisins, comme l'Iran ou le Pakistan, qui absorberont le gros des flux migratoires. "Les besoins humanitaires y seront importants et la Suisse sera sur place". Un accueil supplémentaire de réfugiés afghans n'est pas non plus exclu ultérieurement, mais seulement après une demande de l'agence onusienne en charge.
Employés locaux prêts à être évacués
Pour le moment, Berne a prévu de n'accueillir que les employés locaux de son bureau de coopération à Kaboul, temporairement fermé, et leur famille proche. Ces personnes sont probablement considérées comme des collaborateurs de l'Ouest, a expliqué Karin Keller-Sutter. "Ils sont en danger."
Encore dans l'attente, tous sont prêts à être évacués. "Les avions civils ne peuvent pas atterrir à l'aéroport de Kaboul", sécurisé par les forces américaines, a précisé Ignazio Cassis. "La situation est toutefois très volatile. Elle pourrait changer dans les heures à venir."
Au total, environ 230 personnes seraient concernées. Elles seront décomptées du contingent de réinstallation de 800 personnes pour 2021. "C'était la manière la plus simple, la plus rapide et la moins bureaucratique pour les faire venir", a pointé Karin Keller-Sutter.
Et la Saint-Galloise de préciser que la procédure habituelle n'a pas été suivie. Etant employées par la Direction du développement et de la coopération (DDC), les personnes concernées n'ont pas fait l'objet d'un examen de sécurité sur place ni dû montrer une volonté d'intégration. Elles recevront l'asile à leur arrivée en Suisse.
Procédure ordinaire
L'accueil d'autres Afghans devra lui suivre la procédure habituelle. Une demande de visa pourra être déposée personnellement auprès d'une représentation suisse à l'étranger. Concrètement, ce serait donc dans un pays voisin comme l'Iran ou le Pakistan. Or, sortir d'Afghanistan est très compliqué voire impossible pour l'instant.
Et un visa humanitaire ne serait octroyé que si la personne fait état d'une menace directe et sérieuse contre elle. Selon une pratique constante, elle doit aussi pouvoir se prévaloir d’un lien étroit et actuel avec la Suisse.
Les demandes de regroupement familial ou d'asile déposées en Suisse seront également examinées selon les dispositions ordinaires. Le Secrétarait d'Etat aux migrations a en revanche suspendu jusqu’à nouvel ordre l’exécution des décisions de renvoi entrées en force.
>> Le suivi de l'actualité relative à la crise en Afghanistan : Seuls les Afghans employés par Berne et leurs familles seront accueillis en Suisse
"La Suisse reste une terre d'accueil"
Si la posture attentiste du Conseil fédéral tranche avec les annonces de la Grande-Bretagne qui prévoit d'accueillir 20'000 réfugiés afghans sur cinq ans, la Suisse demeure une terre d'accueil, comme l'a défendu Karin Keller-Sutter au micro de Forum ce mercredi.
"La Suisse garde une tradition humanitaire, mais il faut mettre des priorités", insiste-t-elle, indiquant qu'elle a bien entendu été très choquée par les images sur place des Afghanes et des Afghans qui cherchent à tout prix à fuir le pays.
"La situation sur place est très confuse. Mais la Suisse ne peut pas faire cavalier seul. C'est pourquoi, nous sommes en contact avec le HCR qui doit d'abord définir les besoins sur place", explique-t-elle, ajoutant que le Conseil fédéral va suivre très attentivement la situation. "Et si un jour il y a des besoins, nous sommes prêts à les évaluer", assure-t-elle.
Concernant la potentielle crise migratoire que l'Europe s'apprête à connaître, Karin Keller-Sutter se veut plutôt pessismiste. Selon elle, l'Europe n'a pas véritablement progressé depuis la dernière crise migratoire en 2015. Et la crise du Covid-19 n'y a rien arrangé. Il faut que l'Europe se mette maintenant d'accord sur une politique commune sur l'asile, notamment par la mise en place des mesures qui ne sont pas contestées, comme "le renforcement du contrôle aux frontières extérieures de Schengen", souligne-t-elle.
Et en Suisse, est-on prêt à y faire face? "La situation est aussi tendue en Suisse", répond-elle. "Notamment à cause de la crise du Covid-19, nous ne pouvons pas occuper toutes les places d'accueil de la Confédération. Et les cantons sont dans la même situation. Mais la Suisse est bien préparée, nous avons fait nos devoirs, nous avons des procédures accélérées, et nous avons une tradition humanitaire. Il faut maintenant trouver le juste milieu."
ats/fgn
Un détachement des forces spéciales de l'armée suisse arrivé à Kaboul
Des militaires suisses des forces spéciales sont arrivés à Kaboul mercredi matin. Leur mission est d'aider à l'évacuation de près de 280 personnes ayant un lien étroit avec la Suisse en Afghanistan, a expliqué le conseiller fédéral Ignazio Cassis.
Il s'agit donc pour ces forces de ramener des employés locaux du bureau de la Direction du développement et de la coopération (DDC) ainsi que des ressortissants suisses.