Quelle est la situation actuelle?
Depuis 2007, les couples d’hommes ou de femmes peuvent faire reconnaître leur union grâce au partenariat enregistré. Ils jouissent ainsi de certains des droits accordés aux personnes mariées, notamment en matière d’héritage, de rente de vieillesse ou d’adoption des enfants du conjoint. Mais ils ne bénéficient pas de tous les avantages liés au mariage. Par exemple, la naturalisation facilitée leur est refusée et l’adoption conjointe est interdite, tout comme l’accès à la procréation médicalement assistée.
En moyenne, quelque 700 partenariats enregistrés sont signés chaque année en Suisse. Au total, un peu plus de 11’500 couples ont décidé d’officialiser leur union entre 2007 et 2020 et quelque 15% de ces contrats ont été dissous. Si le mariage pour tous est accepté, il ne sera plus possible de conclure un partenariat enregistré, mais ceux qui ont déjà été prononcés continueront d’être valables. Il sera également possible de convertir le partenariat en mariage.
Quelle est la genèse du projet?
Attaquée par référendum, la modification du code civil ouvrant le mariage aux couples de même sexe a été adoptée par les Chambres fédérales en décembre 2020, au terme d’une longue procédure. A l’origine de ce projet, on trouve une initiative parlementaire lancée par les Vert'libéraux à la fin 2013. L’idée est alors de biffer la notion de "mariage" de la Constitution et de la remplacer par la notion plus large d’"union".
Mais faut-il nécessairement modifier la Constitution? Non, affirme l’Office fédéral de la justice dans un avis de droit publié à l’été 2016. Les experts juridiques de la Confédération estiment que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe est possible par une simple réforme législative. Le Parlement et le Conseil fédéral se rallient à cet avis, ouvrant la voie au projet de mariage civil pour tous soumis au peuple le 26 septembre.
Sur quoi on vote?
Par rapport à l’actuel partenariat enregistré, le projet de mariage pour tous ficelé par les Chambres fédérales comprend trois principales nouveautés. Premièrement, les couples homosexuels mariés se verraient ouvrir la voie de l’adoption conjointe, à l’instar des couples hétérosexuels. Pour l'heure, sous le régime du partenariat enregistré, seule l'adoption de l'enfant du conjoint est légalement possible.
Deuxièmement, les couples de lesbiennes pourraient désormais avoir recours à la procréation médicalement assistée via le don de sperme, dans les conditions prévues par la loi. Aujourd'hui, celles-ci doivent se rendre à l'étranger pour concevoir un enfant. En revanche, le don de sperme anonyme, le don d'ovules ainsi que la gestation pour autrui demeureraient interdites.
Troisièmement, l'époux étranger d'un Suisse ou l'épouse étrangère d'une Suissesse pourrait désormais bénéficier de la naturalisation facilitée. Les conditions d’octroi de la nationalité suisse seraient alors moins strictes que pour une naturalisation ordinaire, en termes de durée de résidence en Suisse notamment.
Qui combat le projet et pourquoi?
Composés principalement de représentants de l'UDF, de l'UDC et du Centre, les trois comités référendaires ont déposé 61'027 signatures valables contre le projet. Ils s'appuient avant tout sur la conception traditionnelle du mariage: "L'introduction du mariage pour tous reviendrait à ouvrir une brèche sociale et politique qui évacue la définition historique du mariage, compris comme l'union durable d'un homme et d'une femme", écrivent-ils.
"Un enfant a besoin d'avoir comme modèle parental un homme et une femme", avancent par ailleurs les référendaires. Pour eux, l'accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de lesbiennes "prive les enfants d'un père". Ils craignent en outre que cette ouverture ne soit qu'une première étape avant la légalisation de la gestation pour autrui.
Enfin, sur le plan juridique, les opposants au mariage pour tous déplorent le fait que le Parlement ait fait passer son projet via une réforme législative et non par une modification de la Constitution. Ils estiment en outre que réserver le mariage aux couples hétérosexuels n'est pas discriminatoire et qu'une redéfinition du mariage est "disproportionnée" eu égard au faible nombre de partenariats enregistrés par rapport au nombre de mariages.
Quels sont les arguments des partisans?
La majorité du Parlement ainsi que le Conseil fédéral soutiennent le projet. Pour eux, il s'agit avant tout d'une question de liberté individuelle et d'égalité: "L'Etat ne doit pas dicter aux gens de quelle manière organiser leur vie privée et familiale", écrivent-ils dans la brochure explicative. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe "met fin à une inégalité de traitement sans désavantager qui que ce soit", plaident-ils.
A l'exception du don de sperme, aucune modification en matière de procréation médicalement assistée (PMA) n'est prévue, précisent les partisans. "Ainsi, tous les couples mariés, y compris les couples de même sexe, auront les mêmes droits dans le domaine de la PMA." Le projet permet en outre de garantir que l'enfant issu d'un don de sperme en Suisse aura la possibilité de connaître l'identité de son père biologique, ce qui n'est pas assuré lorsque les couples de lesbiennes se rendent à l'étranger pour concevoir un enfant.
Par ailleurs, de nombreux enfants sont déjà élevés par des couples de même sexe et cela n'a aucune influence sur leur développement, rétorquent les partisans du projet, étude à l'appui. Ils insistent également sur l'aspect symbolique de l'ouverture du mariage aux homosexuels et balaient l'argument selon lequel le projet serait contraire à la Constitution, cette dernière ne définissant pas le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme.
Quelle est la situation en Europe et dans le monde?
A ce jour, 29 pays reconnaissent le droit au mariage pour les personnes de même sexe. Si le peuple dit oui, la Suisse deviendrait le 30e pays au monde à introduire le mariage civil pour tous, plus de 20 ans après les Pays-Bas. Les Néerlandais ont été les premiers à franchir le pas en 2001, suivis par la Belgique (2003), plusieurs Etats canadiens et américain (entre 2003 et 2005), puis l'Espagne (2005), le Canada (2005) et l'Afrique du Sud (2006).
Plus de la moitié des pays qui connaissent le mariage pour tous - 16 pour être précis - sont situés sur le continent européen. Trois des cinq voisins de la Suisse ont d’ores et déjà accordé aux homosexuels le droit de se marier: la France dès 2013, puis l’Allemagne en 2017 et l’Autriche il y a deux ans. L’Italie et le Liechtenstein, en revanche, limitent le mariage aux couples composés d’un homme et d’une femme. Comme la Suisse, ces deux pays ont toutefois mis en place une union civile pour les homosexuels.
En Europe, tous les pays qui ont légalisé le mariage homosexuel (et Andorre) ont ouvert l'adoption conjointe aux couples de même sexe. En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, l'Allemagne est le seul pays du continent à connaître le mariage pour toutes et tous mais à ne pas autoriser le don de sperme pour les couples de lesbiennes.
Didier Kottelat