Les revenus du capital, c'est quoi?
L'objectif affiché de l'initiative 99% est d'imposer davantage les ultra-riches afin de redistribuer cet argent à la population. Les initiants proposent ainsi de taxer à 150% les revenus du capital qui dépassent un certain montant. Mais en premier lieu, qu'est-ce qui se cache sous cette appellation de "revenu du capital"?
"Ce que nous entendons par revenus du capital, ce sont les dividendes, les intérêts, les gains sur le capital - qu'ils découlent de la vente d'actions ou de la vente d'une entreprise - et les revenus locatifs", note le vice-président de la Jeunesse socialiste suisse Thomas Bruchez, coprésident de la campagne d'initiative.
"Le droit fiscal ne définit pas ce qu’est un revenu du capital", relève pour sa part Maxime Auchlin, membre du comité des jeunes bourgeois pour le non. Le Vert'libéral neuchâtelois dénonce un texte "rédigé de manière lacunaire", sur ce point mais aussi sur d'autres (voir ci-dessous). Selon lui, l'initiative ajoute donc une incertitude juridique à une incertitude financière.
>> Lire aussi : Qui soutient l'initiative 99% et qui la rejette? Et surtout, pourquoi?
Une taxation à 150%, mais pour qui?
La Jeunesse socialiste propose de faire démarrer la taxation à 150% à partir d'un revenu du capital de 100'000 francs. Ainsi, selon elle, 99% des Suissesses et des Suisses ne seraient pas touchés par leur texte. "Avec un rendement moyen de 3,3%, il faut plus de 3 millions de francs de fortune placée pour atteindre ce montant. Cela concerne quelque 60’000 personnes en Suisse", affirme Thomas Bruchez.
"Ce montant de 100'000 francs n'est pas explicitement mentionné dans le texte. Les Jeunes socialistes se contentent de dire que le législateur ferait en sorte de respecter la volonté des initiants", critique Maxime Auchlin, secrétaire général des Vert'libéraux neuchâtelois. Mais pour lui, "si l'idée est de bouffer du riche ou du patron", le Parlement devra se montrer strict. "Et à ce titre, la principale incertitude vient du manque de définition de ce que sont les revenus du capital", répète-t-il.
"Avec notre initiative, nous avons voulu donner un cadre général. Si nous avions été plus précis, on nous l’aurait aussi reproché", rétorque Thomas Bruchez. "Je trouve assez fascinant de voir nos adversaires évoquer une application plus stricte que celle voulue par les initiants", ajoute le Genevois. "Il est d'ailleurs peu probable que ce soit le cas, vu la configuration actuelle du Parlement."
Dégâts collatéraux ou effets bénéfiques?
"L’initiative 99% est un slogan venu des Etats-Unis, mais ce n’est pas trop approprié en Suisse où l'accroissement des inégalités reste limité", souligne Maxime Auchlin. "Les initiants disent viser les très riches, mais s’il est accepté, leur texte fera des dégâts collatéraux", redoute-t-il. Et de craindre des conséquences négatives en matière d'investissements dans les entreprises, et donc en termes d'emploi. L'innovation et la transition énergétique seront aussi touchées, selon lui.
Thomas Bruchez conteste cette vision des choses. Les investissements ont stagné ces dernières années malgré les baisses d'impôts, note-t-il. De plus, en augmentant le pouvoir d'achat de la population, l'initiative favoriserait les restaurateurs, coiffeurs et autres petites entreprises locales. Enfin, en encourageant l'investissement dans l'économie réelle plutôt que la spéculation, le texte aurait selon lui un effet bénéfique sur l'innovation et sur l'emploi.
Les PME sont-elles concernées?
"Les initiants prétendent que l’initiative ne s’applique qu’aux particuliers, mais rien dans le texte ne permet d'affirmer que les entreprises, et notamment les PME, ne seront pas concernées", affirme le Vert'libéral Maxime Auchlin, qui est également responsable du développement de l'entreprise familiale de polissage horloger sise à La Neuveville (BE), au bord du lac de Bienne.
Pour Thomas Bruchez, ce raisonnement est fallacieux: "Seuls les propriétaires de PME pourraient être concernés, pas les PME elles-mêmes." De plus, "56% de ces entreprises ne paient pas d’impôt sur les bénéfices et 34% d'entre elles paient 10’000 francs ou moins. Donc, 90% des PME ne sont pas en mesure de verser des dividendes de plus de 100’000 francs", argumente-t-il.
Pour Maxime Auchlin, taxer davantage les propriétaires d'entreprises n'est pas juste. "Il faut savoir que les PME et leurs dirigeants paient déjà des taxes sur les salaires, l'impôt sur les bénéfices et l'impôt sur la fortune", rappelle-t-il. Selon lui, "il ne faut pas rajouter une couche au mille-feuille (fiscal)", au risque de dérégler "une mécanique qui fonctionne plutôt bien".
L'initiative pourrait en outre mettre en danger la survie de certaines PME, en particulier lors de la transmission à la génération suivante, affirme Maxime Auchlin. "Au fil du temps, une entreprise (PME, exploitation agricole, ...) prend en général de la valeur. Si les propriétaires sont davantage taxés sur cette plus-value, ils devront vendre plus cher", ce qui pourrait décourager les acheteurs, y compris au sein d'une même famille, redoute-t-il.
Thomas Bruchez balaie également cet argument. "Les études montrent que l’imposition n’est pas un critère déterminant dans la transmission des entreprises", soutient le jeune socialiste. De plus, "le législateur pourra prendre en compte la durée durant laquelle l’entreprise a été détenue, par exemple par le biais d’une multiplication du montant exonéré" afin de garantir une égalité de traitement entre les propriétaires qui sortent la valeur de leur entreprise en se versant des dividendes et ceux qui la laissent au sein de l’entreprise en procédant à des investissements".
Didier Kottelat