Interdit en Suisse, le logiciel de reconnaissance faciale Clearview intéresse les polices
Le TagesAnzeiger a dévoilé l'information lundi en se basant sur une liste interne des clients de la start-up américaine Clearview AI, qui produit le logiciel, une liste à l'origine publiée par Buzzfeed.
Cette situation est "explosive", est-il notamment écrit dans le journal alémanique, qui rappelle que l'utilisation de ce type de logiciels utilisant l'intelligence artificielle est strictement interdite en Suisse.
Une base de données colossale
Mais Clearview, qu'est-ce que c'est exactement? Ce logiciel, extrêmement puissant, repose sur le même principe que la très connue application Shazam, qui permet à tout un chacun de retrouver le titre et les paroles d'une chanson entendue au centre commercial ou dans un film. Pour Clearview, c'est à peu près pareil, mais avec les faciès.
Autrement dit, l’application, qui dispose d’une base de données colossale de milliards de photos récupérées notamment sur les médias sociaux (Facebook, Twitter,...), permet de retrouver le nom et le prénom d'une personne, mais également toutes sortes d'informations la concernant.
Failles de sécurité
Si Clearview AI affirmait dans un premier temps mettre ses services à la disposition uniquement de la police et des agences gouvernementales, en 2020, des failles de sécurité ont été observées.
Alors que cette application ne devait être accessible qu'aux professionnels, il a été démontré que des dizaines voire des centaines de personnes et d'entreprises disposaient d’accès personnels, utilisant Clearview pour leur usage personnel. On comprend dès lors que ce logiciel puisse faire scandale.
Comment est-ce possible? Les développeurs se défendent en expliquant qu'il a bien fallu donner des accès au départ aux investisseurs potentiels pour qu’ils testent le logiciel. Ils ont donc distribué aux quatre vents des codes d’accès à titre de test.
Aucune base légale en Suisse
L’usage de ce type de logiciel est interdit en Suisse, où il manque clairement une base légale. Mais des polices du monde entier les utilisent pour confondre des criminels et accélérer leurs enquêtes, ce qui pose beaucoup de questions pour les experts suisses interrogés sur le sujet.
S’agissant de données biométriques, qu’en est-il de leur protection? Quid des erreurs du logiciel qui, se basant sur des photos de mauvaise qualité, pourraient mener à des arrestations injustifiées?
Si c’est illégal en Suisse, la police cantonale de Saint-Gall et la police municipale de Zurich semblent dans tous les cas avoir tenté l'expérience. Si des deux côtés on assure ne pas utiliser ce logiciel, il n'est pas exclu, avance-t-on notamment du côté de Zurich, que des employés s'y soient essayés à titre privé et qu'ils se soient inscrits auprès de l'entreprise avec leur adresse professionnelle.
A la police cantonale de Saint-Gall, on a admis avoir testé cinq systèmes de reconnaissance faciale automatique en 2019. Mais on assure que Clearview n'en faisait pas partie.
Les polices suisses "titillées" par ces outils
Les révélations du TagesAnzeiger n'ont pas manqué de surprendre Sébastien Fanti, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies. "Ce qui m'a surpris et déçu, c'est qu'on fasse ces tests alors qu'on n'a aucune base légale", déplore-t-il au micro de Forum.
Et le préposé cantonal valaisan à la protection des données et à la transparence d'ajouter: "On avait l'impression que la Suisse faisait figure de bonne élève. Mais avec le scandale de Pegasus et maintenant celui de Clearview, on commence à s'interroger sur les démarches prospectives de ces polices, qui sont titillées par ces nouveaux outils d'investigation."
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Toutefois, pour lui, il est faux de croire que la technologie peut tout résoudre. Certes, elle peut aider à résoudre certaines affaires, "mais il faut être proportionné dans l'usage que l'on fait de ces moyens d'investigation", poursuit-il. Et pour ce faire, "il faut que ça soit soumis à un magistrat qui va vérifier si c'est possible ou non."
Et cette affaire ne doit pas en rester là. "Pour l'instant, nous n'avons que des emails dans une base de données, mais il faudra demander les accès qui ont été octroyés par Clearview aux autorités suisses. Et ensuite on verra", souligne-t-il.
Quoi qu'il en soit, l’engouement pour ce genre de technologies est donc bien présent. Malgré les polémiques, la reconnaissance faciale instantanée pourrait donc bien devenir un incontournable de l’avenir des polices. Surtout que, comme le révèle l'enquête de BuzzFeed, ce sont les polices et les autorités de 24 pays en dehors des Etats-Unis qui ont utilisé le logiciel.
Sujet radio: Benjamin Luis
Adaptation web: Fabien Grenon