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"Serein", Christian Levrat s'apprête à tourner le dos à la politique

L'invité de La Matinale (vidéo) - Christian Levrat, conseiller aux Etats (PS-FR)
L'invité de La Matinale (vidéo) - Christian Levrat, conseiller aux Etats (PS/FR) / La Matinale / 11 min. / le 22 septembre 2021
Le conseiller aux Etats fribourgeois Christian Levrat quittera la scène politique à la fin de la session automnale du Parlement fédéral pour rejoindre la direction de La Poste. Invité dans La Matinale, le socialiste est revenu sur ses 18 ans à Berne, ses succès, mais aussi ses regrets.

Sur l'antenne de la RTS, le futur directeur de la Poste se dit "serein" au moment de vivre ses dernières heures sous la Coupole fédérale. Clap de fin prévu le 1er octobre. "C'est un choix volontaire. C'est une chance de pouvoir quitter ce mandat parlementaire sur une décision personnelle", concède-t-il.

Ces dernières années, Christian Levrat a compté comme l'un des poids lourds de la politique fédérale. Tour à tour conseiller national (2003 à 2012), puis conseiller aux Etats (2012 - 2021), le Fribourgeois a aussi été président du Parti socialiste pendant plus de douze ans.

Des victoires et "1000 regrets"

Au total, dix-huit années de combats politiques, dont il retient un succès: "Le plus difficile et probablement le plus important, c'était toute la séquence qui nous a vu gagner le référendum contre la RIE III. Nous avons enchaîné avec des discussions sur un nouveau projet qui s'appelait 'financement des entreprises et de l'AVS', qui nous a permis de dégager deux à trois milliards d'argent supplémentaire par année pour l'AVS. C'est ce que nous qualifiions à l'époque d'opposition constructive", se souvient-il.

Quid de l'éviction du conseiller fédéral UDC Christoph Blocher en 2007, à laquelle il a joué un rôle important en coulisse? "Je comprends que pour le public ce soit vu comme quelque chose de particulier. Pour nous, c'était simplement dans l'ordre des choses", déclare le socialiste.

Nous avons sous-estimé l'initiative sur l'immigration de masse.

Christian Levrat, futur ancien parlementaire fédéral

Christian Levrat a également vécu des défaites mortifiantes et dit nourrir "1000 regrets", dont deux en particulier: "Nous avons sous-estimé l'initiative sur l'immigration de masse en 2014. A l'époque, nous n'avons pas suffisamment tenu compte du malaise croissant de la population face aux conséquences de la libre circulation. Aujourd'hui, je ferais une campagne très différente."

"Mon deuxième regret est le rejet par le peuple du projet de prévoyance 2020, qui réformait à la fois le deuxième et le premier pilier. C'est un autogoal extraordinaire", reconnaît Christian Levrat dans La Matinale.

>> Revoir aussi l'éviction de Christoph Blocher :

Le Journal du 13.12.2007 [RTS]
Exit Christoph Blocher / Le Journal / 3 min. / le 12 décembre 2007

"L'Europe? Nous avons manqué de courage"

Lorsqu'il compare la Suisse de 2003 à celle de 2021, l'habitant de Vuadens (FR) y voit "une image contrastée". "Des progrès ont été réalisés, notamment en termes de propérité. Nous avons un chômage extrêmement bas et nous avons réussi à introduire une nouvelle assurance sociale pour les salariés âgés qui se trouvent au chômage. Nous avons auissi pu développer et maintenir des services publics performants", analyse-t-il.

Mais? "Il y a un point qui n'est pas résolu et dans lequel la Suisse patauge toujours, c'est ses relations à l'Europe. Nous avons probablement manqué un peu de courage", admet celui qui prend une part de responsabilité dans cette situation.

Sur l'accord-cadre, je maintiens qu'il n'y avait pas d'autre solution que de débrancher.

Christian Levrat

"Sur l'accord-cadre, je maintiens qu'il n'y avait pas d'autre solution que de le débrancher. Nous étions dans une impasse politique. Cependant, je maintiens aussi qu'il faut un rapprochement avec l'UE, mais il faut qu'il se fasse de manière à préserver ce qui fait les atouts de la Suisse: sa qualité de vie, son pouvoir d'achat et un plein emploi."

Vu par ses adversaires

Animal politique, Christian Levrat a toujours cherché à soigner les relations interpersonnelles. "J'ai toujours distingué assez clairement les relations personnelles que je pouvais avoir avec mes adversaires politiques du fond de nos différends. C'est une des grandes qualités de la politique suisse que d'arriver à avoir des débats d'idées sains, productifs, vifs, musclés, et d'avoir malgré tout des relations presque amicales. Je peux compter sur les doigts d'une main les personnes avec qui j'ai des difficultés."

Des propos qui ressortent aussi du côté de ses adversaires politiques. "Pour moi, il était trop de gauche, mais c'était clair, il a très bien défendu ses idées. En tant qu'adversaires, nous avons quand même pu bien travailler ensemble", se souvient Albert Rösti, ancien président de l'UDC.

Parfois, je me demandais s'il croyait tout ce qu'il disait?

Pascal Couchepin, ancien conseiller fédéral

Egalement interrogé à propos du Fribourgeois, l'ancien conseiller fédéral radical Pascal Couchepin se remémore une anecdote à la veille de son départ du gouvernement en 2009: "J'ai été invité par Monsieur Levrat à participer à une fondue sur le toit du Palais fédéral. Ce fut une soirée très conviviale. En politique, il était beaucoup plus dur, parfois même je me demandais s'il croyait tout ce qu'il disait?"

Et le principal intéressé de conclure: "La politique, il faut la faire par conviction. Je ne crois pas du tout aux gens qui font de la politique par quête d'un statut ou comme un jeu".

Propos recueillis par Julien Bangerter

Texte web: Jérémie Favre

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