"La baisse des primes maladie est une très bonne nouvelle pour la population suisse", a commenté mardi le conseiller fédéral en charge de la Santé Alain Berset. Selon lui, il s'agit d'un "travail de très longue haleine" de la Confédération pour endiguer les coûts de la santé et diminuer les réserves des caisses.
Ce résultat tient au calcul au plus près des primes par rapport aux coûts de la santé estimés en 2022, aux réductions volontaires des réserves de certaines assurances, mais aussi à l'ensemble des mesures prises par le Conseil fédéral pour réduire les coûts de la santé, a déclaré le chef du Département fédéral de l'Intérieur.
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La réduction de la prime moyenne de 0,2% est à combiner aux 380 millions de francs que les assurances vont reverser à leur clientèle au titre de réduction des réserves, a précisé Alain Berset. Ces deux éléments vont permettre une diminution de plus de 1% du poids réel des primes pour les ménages suisses, a-t-il ajouté.
"Ce n'est pas une diminution qui a été forcée au point de risquer l'explosion l'année prochaine. On cherche la stabilité au niveau le plus bas possible", a encore assuré Alain Berset. "Nous avons aujourd'hui une situation beaucoup plus saine pour garantir, dans la mesure du possible, une évolution qui reste contrôlable et stable durant les prochaines années."
MILIEUX DE LA SANTÉ - Réformes nécessaires
La Fédération des médecins suisses (FMH) se félicite de la baisse des primes de l’assurance-maladie obligatoire. D’après le monitoring de l’évolution des coûts de l’assurance-maladie, la hausse moyenne a été de près de 3% au cours des dix dernières années. Or, les primes ont toujours été fixées en peu en dessus par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), permettant aux assurances maladie de constituer des réserves de sécurité. Inversement, cela donnait aux ménages suisses l’impression que la forte hausse des primes correspondait à une augmentation inquiétante des coûts de la santé. Selon la FMH, l’évolution actuelle prouve le contraire: les "objectifs de maîtrise des coûts", envisagés par le Conseil fédéral, sont atteints avant même l’introduction de budgets pour les soins de santé.
La section romande de la Fédération suisse des patients a qualifié quant à elle de "bonne nouvelle" l'annonce du Conseil fédéral. Elle estime malgré cela que le système doit être réformé et que les réserves des assurances ne doivent pas excéder 150%. "Nous n'aurions pas dit non à une plus forte baisse", a déclaré Simon Zurich, vice-président de la section romande, qui pointe du doigt les limites du système. "Les redistributions des réserves aux assurés dépendent de la bonne volonté des assurances", a-t-il ajouté. Pour la Fédération suisse des patients, une loi doit empêcher que le taux de solvabilité des assurances dépasse 150%.
De son côté, le président de la société médicale de la Suisse romande Philippe Eggimann juge lui aussi que la baisse des primes est une nouvelle positive. Il l'estime toutefois insuffisante car il faut selon lui changer de paradigme pour briser le "cercle infernal" des réserves et des primes trop élevées. "Ces trois-quatre dernières années, alors que les coûts de la santé se sont tassés, avec une hausse moyenne de 1,5% par année depuis 2017, il y a un excédent de primes perçu de l'ordre de plus de trois milliards de francs par année. Le compte n'y est pas puisqu'on nous dit qu'on va nous rembourser 380 millions de francs, ce qui représente seulement 10%", remarque Philippe Eggimann.
Pour Michel Matter, président de l'Association des Médecins du canton de Genève (AMG) et conseiller national vert'libéral genevois, l'annonce du gouvernement est un signal fort. "Cela fait des années et des années que l’on revendique des baisses. Même si ces dernières années cela a été contenu, là nous avons une véritable baisse et c’est un signal qui est important pour toutes les assurées et les assurés. Evidemment, on aurait aimé avoir un chiffre encore plus haut dans la baisse, mais c’est quelque chose qui montre que la pression qui est mise depuis des années fonctionne enfin."
MILIEUX POLITIQUES - Réserves des assurances trop importantes
La conseillère d'Etat neuchâteloise Florence Nater estime réjouissante la relative stabilité des primes maladie dans le canton depuis trois ans, qui vont baisser de 0,1% à Neuchâtel pour 2022. La cheffe de l'emploi et de la cohésion sociale rappelle toutefois que la prime à Neuchâtel reste parmi les plus élevées de Suisse, en raison notamment d'indicateurs défavorables, comme une population plus âgée que la moyenne helvétique. "Avec ce que permet le cadre financier, on va faire le mieux possible pour alléger le poids des primes sur les ménages avec les subsides", dit-elle. La conseillère d'Etat reste inquiète par rapport à une possible hausse du nombre de bénéficiaires de subsides, en lien avec la fin des aides fédérales liée à la crise sanitaire.
Le Parti socialiste considère que la pression mise sur les assurances maladie a porté ses fruits. Celle-ci les a forcé à puiser dans leurs réserves pour en redistribuer une partie aux assurés, mais cette redistribution est trop chiche. "Les assureurs sont encore assis sur plus de 12 milliards de francs de réserves qu'ils peuvent réduire sans mettre en péril leur solvabilité", relève le PS mardi dans un communiqué. Le parti de gauche rappelle son engagement en faveur d'une diminution des primes maladie à travers son initiative réclamant qu'aucun ménage ne paie plus de dix pour cent de son revenu disponible pour les primes.
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"On ne nous donne pas grand-chose par rapport à ce l'on nous doit", estime quant à lui le conseiller d'Etat genevois Mauro Poggia. Le magistrat continue de s'en prendre aux trop grandes réserves des assurances. Entre 2017 et fin 2020, les excédents de recettes ont totalisé 5 milliards de francs, note le Genevois. Rien qu'en 2020, année marquée par la pandémie de Covid-19 et une activité réduite des hôpitaux en raison du report de nombreuses interventions, l'excédent de recettes des caisses s'est établi à 1 milliard de francs. Certes, les assurances ont réduit leurs réserves de 380 millions de francs et ont aussi reversé 130 millions de francs de trop-plein perçu, mais en additionnant ces deux chiffres, "on ne rend que la moitié" du surplus de réserves encaissées uniquement durant 2020, déplore Mauro Poggia.
Pour la conseillère d'Etat vaudoise Rebecca Ruiz, certaines caisses ne font pas assez d'efforts. "On aurait pu s'attendre à ce que certains assureurs proposent des primes moins élevées dans le canton", a déclaré mardi la cheffe du Département de la santé et de l'action sociale (DSAS). Elle rappelle que les réserves excédentaires, c'est-à-dire supérieures au seuil minimum légal, ont augmenté de 11% l'an dernier, à 6,4 milliards de francs. "Ces montants doivent être rendus aux assurés. Il faut que la réduction des réserves soit une obligation pour les assureurs et qu'elle soit ancrée dans la loi et non que l'on continue à miser sur leur bonne volonté", a affirmé la ministre vaudoise.
Enfin, le Gouvernement jurassien a salué la première baisse de la prime moyenne d'assurance maladie dans le canton depuis 2008. Il attend des caisses maladie qu'elles fassent usage de la possibilité de réduire volontairement leurs réserves et qu'elles restituent une partie des primes payées en trop aux assurés. Le canton du Jura estime que les collectivités publiques qui ont participé à la création de ces réserves via les subsides pour les primes d'assurance maladie doivent aussi bénéficier de cette rétrocession. Il a calculé que les réserves des assureurs ont augmenté de 700 millions de francs entre 2019 et 2020.
ASSURANCES - Mesures d'économie exigées
SantéSuisse se réjouit que le Conseil fédéral ait approuvé les propositions des caisses maladie en faveur d'une réduction modérée des primes. De plus, plusieurs assureurs ont libéré une partie de leurs réserves et remboursé aux assurés des contributions s'élevant à plusieurs centaines de millions de francs. Cependant, compte tenu de la croissance des coûts, qui s'est poursuivie au 1er semestre 2021 (4%), de véritables mesures d'économie s'imposent afin que les primes restent abordables à l'avenir, indique SantéSuisse.
Cet avis est partagé par Curafutura, qui réclame plus d'efficience, sans quoi les primes repartiront à la hausse. La faîtière juge urgente l'entrée en vigueur du nouveau tarif médical Tardoc. "Un tiers des primes, soit environ 12 milliards de francs par année, est utilisé selon le tarif obsolète Tarmed, ce qui entraîne un gaspillage financier considérable et crée de mauvaises incitations médicales au détriment des patients", estime-t-elle.
Des efforts en faveur des génériques doivent également être entrepris. SantéSuisse réclame l'introduction d'un système de prix de référence pour les génériques. Curafutura pointe du doigt le faible taux de substitution de médicament par des génériques ou des biosimilaires. Enfin, SantéSuisse et Curafutura souhaitent un financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires.
De son côté, le directeur du Groupe Mutuel Thomas Boyer reste prudent quant à la perspective d'une baisse continue des primes à l'avenir. "Si des mesures pour la maîtrise des coûts de la santé ne sont pas prises, on continuera à avoir une augmentation. Il y a des effets démographiques, tous les acteurs de la santé doivent être responsables. Il faut dans le futur se remettre à la table pour prendre des mesures et contenir ces hausses qui sont inévitables et liées à plusieurs facteurs", souligne le directeur.
iar avec l'ats
Une baisse symbolique pour la FRC
La baisse des primes maladie est plus symbolique qu’historique, estime la Fédération romande des consommateurs (FRC). En réalité, la tendance est plutôt à la stabilité. Des réformes sont nécessaires.
Malgré cette baisse, les primes continuent à peser sur le budget des ménages, considère la FRC. Quant aux rétrocessions d’une "petite portion" des réserves excédentaires, elles n’amènent qu'"un soulagement relatif" au vu des réserves excédentaires des assurances.
La FRC pointe du doigt l'absence de réforme ces quatre dernières années dans le domaine de la santé. Au final, la stabilité de 2022 est due en grande partie aux réserves excédentaires qui, elles-mêmes, résultent d’un facteur conjoncturel, à savoir leur placement en bourse.
Variation de l'évolution des primes selon les cantons
La Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé se réjouit du fait que la prime moyenne diminuera légèrement. L’évolution des primes varie toutefois selon les cantons et les caisses maladie, souligne-t-elle.
Même s’il est compréhensible que, depuis l’approbation des primes 2019, la communication de l’OFSP se concentre désormais sur les primes moyennes et non plus sur les primes ordinaires, l’évolution des primes moyennes est dans une certaine mesure découplée de l’évolution des coûts de la santé, explique mardi la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS).
Les primes moyennes peuvent baisser indépendamment de l'évolution des coûts lorsque davantage d'assurés choisissent un modèle d’assurance avec choix limité du fournisseur de prestations et/ou une franchise plus élevée, avec pour conséquence qu'ils doivent supporter des coûts plus élevés en cas de maladie. Les primes moyennes reflètent ainsi avant tout la charge des assurés en bonne santé.
La charge que représentent les primes pour les assurés ne dépend plus exclusivement du montant des primes mais de plus en plus aussi de la réduction volontaire des réserves via les montants compensatoires. Pour les assurés, il devient toujours plus difficile de garder la vue d’ensemble et de choisir un assureur.