Le contrôle du juteux marché des tests Covid met à l’épreuve cantons et Confédération
Les autorités sanitaires de plusieurs cantons interrogés par la RTS font part des difficultés à contenir et contrôler le marché en plein boom des tests Covid, avec des zones grises réglementaires et des pressions économiques et politiques face à la nécessité des tests.
Il existe bien sûr toute une série de lois et de règlements de base, mais la certification de la qualité des laboratoires d’analyses n'est par exemple pas obligatoire. Et, surtout, le marché des tests Covid attise les convoitises et attire de nouveaux acteurs, avec des centaines de millions de francs de chiffre d’affaires à la clé, provenant jusqu'ici principalement des caisses publiques.
Problèmes détectés dès novembre 2020
Le cas du laboratoire neuchâtelois de Boudry, désormais en mains de la justice, révèle la difficulté de réguler ce marché. Avant d’en arriver à l’extrémité d’une enquête pénale, ce laboratoire a fait l'objet de nombreux allers-retours entre plusieurs autorités sanitaires cantonales et fédérales, selon des informations de la RTS.
Les autorités neuchâteloises disent avoir demandé de premiers ajustements en novembre 2020. D'autres cantons s'en sont ensuite mêlés. Grâce à des prix très attractifs, le laboratoire de Boudry a en effet décroché des contrats un peu partout en Suisse romande pour des tests rapides à l'entrée de diverses manifestations.
Les cantons de Genève, Vaud et Fribourg ont tiré en premier la sonnette d'alarme sur les conditions de test potentiellement non conformes.
Interdiction de pratiquer en dehors de Neuchâtel
A la suite de ces alertes, l'autorité fédérale de référence Swissmedic a lancé une inspection et a ordonné l'arrêt de toute activité extérieure du laboratoire neuchâtelois. En plus des tests mobiles, l'établissement avait également constitué un réseau de rabatteurs de clients, avec des possibilités, par exemple, de se faire dépister dans un bureau en face de l'aéroport de Cointrin ou dans un salon de massage à Lausanne.
Cette offre externe n'est désormais plus possible, a confirmé à la RTS Swissmedic. D'autres irrégularités ont néanmoins été dénoncées par la suite au sein même du laboratoire de Boudry. Autant d’indices qui ont mené la justice à procéder à des perquisitions et à ouvrir une enquête pénale, notamment pour soupçons de faux dans les titres concernant des certificats tant positifs que négatifs qui ne reposeraient sur aucun test réellement effectué ou sur des tests mal effectués.
Lenteur des autorités critiquée
De nombreux acteurs du marché critiquent le fait que le laboratoire accusé poursuive ses activités. "Les autorités tardent trop à sévir. Toute notre branche est discréditée", se plaint un concurrent. De son côté, Swissmedic dit redoubler d'efforts dans ses contrôles sur l’activité encore en cours et devoir laisser la justice faire son travail sur les événements passés.
Mais le cas de ce laboratoire finit de mettre à l’épreuve les mécanismes de contrôle avec l'apparition d’une société dans le canton de Fribourg portant le même nom que celle de Boudry et dont la responsable scientifique est la même pour les deux sites. Et c’est la propre fille de cette personne qui a inscrit la société à son nom au registre du commerce fribourgeois.
Situation floue à Fribourg
En découvrant cette nouvelle société au mois d’août dernier, les autorités du canton ont d’abord ordonné sa fermeture, estimant que le laboratoire ne remplissait pas toutes les conditions, à commercer par une autorisation de Swissmedic.
L’organe fédéral de surveillance a finalement concédé une autorisation partielle pour la réalisation de tests antigéniques. Des tests PCR sont malgré tout réalisés en sous-traitance avec le laboratoire de Boudry et le flou règne sur leur légalité. "Tout est en règle", rétorque la responsable scientifique. "Cessez de nous faire passer pour des criminels". Elle concède toutefois qu'avec sa fille, elles ont choisi de retirer toute mention et publicité de leur société sur internet, préférant s'en tenir au bouche à oreille pour attirer des clients.
Ludovic Rocchi/iar
Baptiste Hurni: "Cette crise a révélé les faiblesses du système des laboratoires"
Interrogé sur les ramifications de l'affaire du laboratoire de Boudry, le conseiller national socialiste neuchâtelois et président de la Fédération suisse des patients Baptiste Hurni considère que ce cas est emblématique du dysfonctionnement du système des laboratoires de dépistage.
"Ces laboratoires sont extrêmement importants dans le système de santé", or la certification de qualité pour ces établissements n'est pas obligatoire, souligne le député.
Il estime que cette situation est la porte ouverte à des "pratiques douteuses" par des "acteurs peu scrupuleux".
Les dérives observées au sein de l'établissement neuchâtelois s'explique notamment par des contrôles "extrêmement rares" dans les laboratoires qui ne sont pas certifiés, selon Baptiste Hurni. "C'est grave et dangereux", a-t-il ajouté.
Le député socialiste a interpellé le Conseil fédéral sur cette question, en pointant du doigt un marché trop opaque. "On doit se demander quelle est la fiabilité des laboratoires, privés et publics, en Suisse", a-t-il affirmé.