Le sujet cristallise les tensions entre la Suisse et l'Union européenne depuis des années. Faute d'avancées sur l'accord institutionnel, Bruxelles avait refusé l'équivalence boursière à Berne. En réaction, le Parlement avait conditionné l'octroi de ce deuxième milliard de cohésion. Il ne devait être versé que si l'UE s'abstenait de toutes mesures discriminatoires.
Mais le 26 mai a encore changé la donne. Le Conseil fédéral ayant rompu unilatéralement les négociations sur l'accord-cadre, l'UE s'est fâchée et l'a fait savoir. Pour l'amadouer, le gouvernement a souhaité débloquer l'enveloppe, alors que le Parlement avait initialement prévu de prendre son temps et d'examiner la question en deux sessions. Il a finalement mis les bouchés doubles et bouclé le sujet en une journée.
Le Conseil des Etats a adopté le texte dans la matinée par 30 voix contre 9. A l'exception de l'UDC, rejointe par quelques centristes, tous les autres sénateurs ont plaidé pour le versement inconditionnel du milliard, parfois à contre-coeur ou par simple "pragmatisme". Les députés ont suivi dans la soirée par 131 voix contre 55. Les débats n'en ont pas moins été animés.
"Il ne faut pas jouer avec le feu"
"L'érosion des relations bilatérales n'est pas une option", a lancé d'entrée de jeu Fabian Molina (PS/ZH). "L'UE est notre principal partenaire politique, économique, culturel et linguistique", a complété Christa Markwalder (PLR/BE). "Il ne faut pas jouer avec le feu", a quant à elle averti Elisabeth Schneider-Schneiter (Centre/BL).
Les effets de l'interruption unilatérale des négociations se font déjà sentir, ont souligné plusieurs orateurs. Aucun nouvel accord n'est pour l'instant signé ou actualisé. La reconnaissance des produits médicaux n'a par exemple pas été acceptée, et la Suisse est sur le banc de touche dans le cadre du programme Horizon Europe.
"Le lien que Bruxelles fait entre le milliard de cohésion et la participation à Horizon Europe n'est pas joli. Il n'est pas sûr que le versement de la contribution débloque la situation. Mais si aucune décision n'est prise, il ne se passera pour sûr rien", a souligné Elisabeth Schneider-Schneiter.
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"Le milliard de cohésion est un petit, mais important pas vers la normalisation des relations avec l'UE", a conclu Fabian Molina, ajoutant que ça n'était pas plus que ça, car la contribution est due depuis 2013.
L'UDC dénonce une extorsion
Seule l'UDC s'est opposée à la contribution au National. Ses représentants se sont succédé à la tribune pour dénoncer une extorsion. "L'UE ne parle plus depuis longtemps de milliard de cohésion, mais de taxe d'entrée au marché européen", a argué Roger Köppel (UDC/ZH). "La Suisse ne doit pas céder, car un maître-chanteur revient toujours avec de nouvelles demandes."
Des assertions réfutées par Ignazio Cassis. Pour lui, le milliard de cohésion est une contribution autonome. "C'est un signe de bonne volonté", a poursuivi le conseiller fédéral. "La Suisse montre ainsi qu'elle demeure un partenaire fiable."
"L'escalade des exigences de part et d'autres n'a servi à rien ces dernières années. Il faut briser le schéma contreproductif des liens infondés entre les dossiers. La Suisse doit avoir la grandeur d'esprit de faire le premier pas", a encore plaidé le ministre des affaires étrangères. La prochaine étape sera l'institution d'un dialogue politique permettant de clarifier les souhaits de chacun.
Toutes les propositions de l'UDC pour éviter, retarder ou conditionner le versement de la contribution ont au final été repoussées.
"C'est important d'aller de l'avant"
Invitée dans La Matinale ce vendredi, la secrétaire d'Etat au Département des affaires étrangères Livia Leu a rejeté catégoriquement les allégations de l'UDC. Pour elle, il ne s'agit en aucun cas de "capitulation" ou de "servilité", comme certains ont qualifié le déblocage de ce deuxième milliard de cohésion.
"L’Union européenne est notre plus grand partenaire", insiste-t-elle. "Nous avons donc tout intérêt de garder de bonnes relations avec elle. C'est important de faire un pas en avant et de permettre aussi que d'autres dossiers se débloquent."
Pour elle, ce milliard permettra "de changer la dynamique, de donner une nouvelle impulsions aux discussions". "On peut tourner la page et arriver à une dynamique un peu plus positive, notamment sur certains dossiers comme celui de Horizon Europe", explique Livia Leu qui est en première ligne dans les négociations avec Bruxelles.
Si l'accord-cadre aurait permis de régler certaines questions très techniques ou juridiques, ce milliard de cohésion permettra, d'après elle, d'évoquer des sujets plus variés. Outre celui de la recherche, il permettra d'aborder par exemple celui de "la coopération dans le domaine de la politique étrangère".
ats/vic
Fonds affectés à des projets et à des programmes spécifiques
Le crédit-cadre pour la cohésion, d'un montant exact de 1,047 milliard, doit aider à réduire les disparités économiques et sociales dans l'Europe élargie. L'accent doit notamment être mis sur la formation professionnelle.
Les fonds ne peuvent être engagés que d’ici au 3 décembre 2024. Ils ne sont pas directement versés aux pays partenaires mais affectés à des projets et à des programmes spécifiques, a rappelé le Tessinois. Le processus pouvant durer trois ans, le temps presse.
Le crédit pour la migration de 190 millions doit lui permettre de soutenir les pays d'Europe du Sud. Il porte sur dix ans. Les quelque 65 millions restants doivent servir pour les charges propres de l'administration fédérale.
Bruxelles salue la décision du Parlement
La Commission européenne a salué jeudi soir la décision du Parlement d'octroyer le second milliard de cohésion sans conditions.
Bruxelles rappelle toutefois que cette contribution est une "contrepartie naturelle et logique à la participation de la Suisse au plus important marché intérieur du monde". Et d'ajouter qu'il ne faut pas oublier que la dernière tranche du premier milliard de cohésion a été versée en 2012.
Pour l'avenir, il faut un mécanisme qui garantisse que la Suisse apporte une contribution financière conforme aux standards de l'UE et des Etats de l'EEE, ajoute la Commission.