Mémoires d'outre-tombe

Grand Format

Introduction

A l'occasion de la Toussaint, la série "Mémoires d'outre-tombe" propose une plongée dans l'histoire de plusieurs cimetières romands. Atypiques et étonnants, ces lieux sont les vestiges d'un passé méconnu, chargés de mémoire et d'anecdotes.

Chapitre 1
Le cimetière israélite de Veyrier (GE), lieu chargé d’Histoire

Keystone - LAURENT GILLIERON

Traversé dans sa diagonale par la frontière franco-suisse, le cimetière israélite de Veyrier (GE) est le seul au monde dont le périmètre s’étend sur deux pays. Situé aux abords de l’Arve, entre Genève et la commune d’Étrembières (F), cette nécropole surplombée par le Mont Salève compte près de 3500 tombes, témoignant d’une histoire singulière.

Inauguré en 1920, le cimetière fut pendant le XXe siècle un lieu de passage clandestin entre les deux pays. Notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, où la géographie du lieu a joué un rôle fondamental pour plusieurs centaines de réfugiés juifs en provenance de l’Est.

Vue aérienne du cimetière israélite de Veyrier, photo d'archive datant de 1945.
Vue aérienne du cimetière israélite de Veyrier, photo d'archive datant de 1945.

"Les flux migratoires ont eu lieu en deux temps: d’abord en 1938 avec l’Anschluss et l’annexion de l’Autriche par le régime nazi. Il y a eu un flux migratoire important en Suisse, les réfugiés passant par cette zone pour rejoindre la France libre", explique Jean Plançon, gardien du cimetière et passionné d’histoire.

La deuxième vague s’opère dès juillet 1940, avec l’invasion de la France libre par le régime de Vichy. Échappant aux persécutions, le flux de réfugiés juifs migre de France en Suisse. "Un réseau clandestin de complicité s’est développé. Les réfugiés étaient d’abord cachés dans le centre funéraire du cimetière, avant de rejoindre certains lieux d’accueil à Genève", détaille le gardien, qui a écrit de nombreux ouvrages sur la communauté israélite genevoise.

En 1943, le cimetière est fermé par la Wehrmacht, rendant le passage quasiment impossible. Les historiens estiment qu’environ 12'000 juifs seraient passés par cette frontière franco-suisse durant la Seconde Guerre mondiale.

Illustres personnalités

Le cimetière est aussi connu pour abriter les tombes de plusieurs personnalités issues du monde politique, littéraire ou économique. C’est notamment en ces lieux que repose l’écrivain Albert Cohen, auteur du chef d’œuvre littéraire "Belle du Seigneur", dont les faits se déroulent dans la Genève de la Société des Nations durant les années 1930.

Inhumé en 1981, Albert Cohen était aussi engagé dans la cause des réfugiés juifs, travaillant étroitement avec les Nations unies et participant activement à la création du passeport pour les apatrides, lors de l’accord international du 15 octobre 1946.

Hormis l’écrivain, d’autres personnalités reposent en ce lieu, comme les banquiers Edmond Safra et Edouard Stern. Le roi du cigare, Zino Davidoff, y est aussi enterré.

>> Le récit du 19h30 sur le cimetière israélite de Veyrier :

A la veille de cette période de Toussaint, découverte de notre série "Mémoire d'outre tombe", consacrée aux cimetières
19h30 - Publié le 29 octobre 2021

Chapitre 2
Le cimetière de Jaun, un artisanat unique en son genre

RTS

Niché au cœur des Préalpes fribourgeoises, dans la commune de Bellegarde, le cimetière de Jaun attire la visite de nombreux touristes. L’attraction phare? Ses crucifix en bois ornant les tombes des défunts, sculptés à la main et illustrant leur vie et passions.

À l’origine de cette coutume, Walter Cottier, sculpteur autodidacte fribourgeois, décédé en 1995. Jusqu’aux années 1940, les croix des tombes du cimetière de Jaun étaient en fer forgé. C’est à la mort du grand-père de Walter, en 1948, que le talent artistique du jeune homme, alors âgé de 27 ans, se révèle.

"Il venait d’une famille qui était très pauvre et qui n’avait pas les moyens d’acheter un crucifix ou une pierre tombale. Walter décida donc de sculpter lui-même une croix en bois avec son canif. La beauté de son œuvre fut telle que d’autres habitants du village lui demandèrent de fabriquer une croix pour leurs défunts", raconte Werner Schuwey, ami de Walter Cottier et guide du cimetière. Le règlement du cimetière établira par la suite que toutes les tombes de Jaun devraient être ornées d’une croix en bois avec deux reliefs.

Sculpteur passionné

Walter Cottier aurait sculpté durant sa vie plus de 250 crucifix funéraires, aux motifs riches et variés: scènes de la vie rurale, portraits, passions des défunts, fleurs et animaux. Travaillant dans une scierie, il créait ces minutieux ouvrages durant son temps libre.

"C’était un véritable artiste, très impliqué dans ses sculptures: chaque œuvre est unique. Il avait un véritable respect pour les défunts, il voulait connaître leur vie et voir des photos d’eux afin de faire une œuvre qui leur ressemblait vraiment. Une fois qu’il était inspiré, il lui arrivait de ne plus lâcher son ouvrage et de travailler jusqu’au bout de la nuit", se remémore avec émotion Werner Schuwey.

À sa mort, la tradition s’est perpétuée grâce à un autre sculpteur autodidacte de la région: Reynold Boshung. Ces sculptures singulières en Europe font du cimetière de Jaun un patrimoine culturel unique en son genre.

>> Le récit du 19h30 sur le cimetière de Jaun :

Mémoires d’outre-tombe: visite du cimetière de Jaun, où toutes les croix sont en bois sculpté. Un artisanat unique en son genre en Gruyère (FR)
19h30 - Publié le 31 octobre 2021

Chapitre 3
Le cimetière des pestiférés, vestige d’un terrible fléau

RTS

Vestige d’un passé douloureux dans les Franches-Montagnes, le cimetière des pestiférés se trouve près du Boéchet, au lieu-dit Les Seignattes, dans un pâturage entouré de verdure. Ceint par des sapins et un mur en pierres sèches, un enclos permet aux visiteurs d’accéder à cet endroit mystérieux, où quelques rares stèles sont encore disséminées.

Marc Renaud est un photographe qui a découvert cet endroit par hasard lors d’une balade. Fasciné par le lieu, il décide d’en faire un objet de recherche."C’est une zone assez énigmatique car il ne reste presque plus rien de cette époque. J’avais envie de connaître son passé en me plongeant dans l’Histoire. On y apprend que c’était ici que l’on enterrait les habitants de la commune des Bois, morts de la peste durant le XVIIe siècle", explique le passionné.

Peste et famine

Officiellement, la création du cimetière des pestiférés daterait de 1636, en plein pendant la guerre de Trente Ans, qui se déroula de 1618 à 1648. C’est grâce à un journal tenu par un habitant des Bois durant cette époque, un certain Guillaume Triponez, que l’on en sait un peu plus sur ce lieu. Cette guerre, qui opposa violemment protestants et catholiques, notamment en Ajoie, propagea la peste et décima la région.

Ecouter aussi : La peste peut-elle revenir ?

Au 14ème siècle, la peste noire a été considérée comme un fléau de Dieu. [Bible du Toggenburg – Wiki]Bible du Toggenburg – Wiki
Corpus - Publié le 28 août 2013

"Guillaume Triponez décrivait des scènes de ravages, de pandémie et de famines. Beaucoup de personnes se tenaient à l’écart de leurs proches, de peur d’être contaminés. Les morts de la peste étaient enterrés loin des villages, à l’écart, comme dans ce cimetière", détaille Marc Renaud.

On y enterra notamment le premier curé des Bois, disparu à l’âge de 31 ans, à qui on érigea un crucifix et une pierre gravée du texte suivant: "En la mémoire de Thibaud Ory, premier curé des Bois et de tous les fidèles inhumés dans ce cimetière pendant la Peste de 1636".

Dernier vestige

La maladie était si ravageuse que l’on ne trouvait parfois plus personne pour inhumer les corps. Le photographe ajoute: "On ne sait pas si les corps ont été incinérés ou simplement déposés ici. Je trouve que la pandémie de Covid-19 donne une autre résonance à ce cimetière, et à l’importance de ces lieux de mémoire à travers l’Histoire".

Certaines tombes datent du XXe et XXIe siècle, sans que l’on sache vraiment pourquoi les défunts y sont enterrés. Une légende locale raconte que c’est ici que reposent les personnes s’étant ôtés la vie, les suicidés étant pendant longtemps mal vus de l’Eglise catholique. En Suisse, les traces de la plupart de ces cimetières de pestiférés ont disparu. Dans les Franches-Montagnes, seul celui du Boéchet subsiste.

>> Le récit du 19h30 sur le cimetière des pestiférés :

Mémoires d’outre-tombe: à la découverte du cimetière des pestiférés, dernier vestige dans le Jura de la peste noire qui a sévi au 17e siècle en Suisse
19h30 - Publié le 30 octobre 2021

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