Selon le site alémanique stopfemizid.ch, la Suisse dénombre déjà cette année 23 victimes de féminicide, dont deux hors du territoire national. C'est plus que les 16 victimes de 2020. "Ce n'est pas seulement quelque chose dans le système qui 'cloche'. La violence est un phénomène de société", estime la directrice du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes Sylvie Durrer, mardi dans La Matinale.
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Avant d'ajouter: "On doit améliorer la protection des victimes, notamment sur la gestion des menaces. Les cantons y travaillent. (...) Mais il y a un gros potentiel d'amélioration, car les homicides en matière de violences domestiques restent élevés." Sylvie Durrer explique qu'il n'y a pas de "mesures magiques".
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Créer un "bouton d'alarme"
La gratuité des frais de la procédure, une meilleure information et coordination des autorités, l'obligation de suivre un programme social-éducatif durant la procédure ou encore la possibilité, dès janvier, d'utiliser un bracelet électronique: le catalogue de mesures a été étoffé par la justice suisse. Sylvie Durrer confirme qu'un "bouton d'alarme" pour les victimes est également à l'étude. "Certains cantons s'y intéressent", note-t-elle.
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Mais il reste encore de vastes champs d'amélioration, comme par exemple la formation des magistrats, alors que celle des policiers a fait ses preuves. "Les magistrats doivent pouvoir étudier et examiner le phénomène d'emprise des victimes, le phénomène de spirale de ces violences, qui peuvent devenir de plus en plus dangereuses ou la manière dont les victimes peuvent réagir", explique la coprésidente de l'Association avocats ressources en matière de violences domestiques Charlotte Iselin.
L'exemple de l'Espagne
Pour de nombreux acteurs du terrain, la Suisse devrait s'inspirer du modèle espagnol. "L'Espagne a des tribunaux spécialisés dans les violences domestiques qui ne gèrent que ces affaires et qui doivent statuer dans un temps très court, décrit Marc-Antoine La Torre, directeur du foyer d'hébergement Arabelle à Genève. Elle a également des polices spéciales qui s'occupent uniquement de ces violences de genre. Il s'agit d'une vraie avancée."
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Pour la directrice du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes Sylvie Durrer, le modèle espagnol est "intéressant", mais "chaque système est différent, on peut donc rarement reprendre telles quelles les pratiques d'un autre pays".
Au-delà des mesures juridiques, les spécialistes insistent: il faut renforcer la prévention, améliorer l'égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre la banalisation de la violence. D'ailleurs, le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes bénéficie désormais de davantage de moyens financiers, plus 3 millions de francs, pour soutenir des projets de prévention.
Marielle Savoy/Valérie Hauert/vajo
Comment lutter vraiment contre les féminicides?
"En Suisse, on parle très peu de ces violences comme des violences de genre, c’est-à-dire des violences qui arrivent aux femmes parce qu’elles sont femmes", explique dans Le Point J Faten Khazaei, sociologue à l’Université de Goldsmiths, à Londres, et dont la thèse de doctorat porte sur la prise en charge des victimes de violences conjugales par les institutions suisses.
Ainsi, dans le langage des politiques publiques, parfois même dans certains médias, on parle plutôt de violences domestiques et il arrive même encore de parler de drame passionnel. "Employer le terme féminicide (littéralement "être tuée parce qu’on est une femme") permet de mettre l’accent sur le fait que les femmes meurent dans des situations différentes que les hommes", explique-t-elle.
La recherche montre que les femmes sont davantage en danger dans la sphère privée, menacées par des hommes qu’elles connaissent, alors que pour les hommes, cela se passe dans la majorité des cas dans la sphère publique et par la main d’autres hommes.
Selon Faten Khazaei, on ne peut donc pas comparer les cas de féminicides à n’importe quel autre cas d’homicides, et utiliser les mêmes lois et les mêmes institutions de manière indifférenciée. "Cela ne permet pas de prendre en considération la question du rapport du pouvoir homme-femme dans la sphère privée, notamment", affirme-t-elle.
"Lutter efficacement contre les féminicides commence donc par le fait de reconnaître juridiquement ce terme", conclut la sociologue. C’est justement le cas de l’Espagne, qui est pionnière dans la lutte contre les violences de genre. Elle a introduit dès 2004 une loi spécifique pour lutter contre le féminicide et observe une baisse des meurtres de femmes.