Vrai ou faux? Nous avons vérifié six affirmations des partisans et des opposants à la loi Covid
1) En cas de non, il ne sera plus possible d'établir des certificats Covid, pas même pour les voyages à l'étranger. → VRAI
"(En cas de rejet de la loi Covid,) il ne sera plus possible d'établir des certificats Covid - pas même pour les voyages à l'étranger", affirme la brochure officielle du Conseil fédéral. Sur son site internet, le comité référendaire prend quant à lui le contrepied total: "La Confédération et les cantons peuvent évidemment proposer des certificats Covid sur demande pour les voyages à l'étranger. Prétendre le contraire est contraire à la vérité." Alors, qui a raison, qui a tort?
Toutes les personnes que nous avons consultées - autorités et experts - nous confirment que, sans base légale, plus aucun certificat ne pourra être délivré après le 19 mars 2022. Parallèlement, il ne sera plus possible, en Suisse, de lier des mesures de restriction de la vie sociale à la présentation d'un pass sanitaire. Les certificats déjà en vigueur continueront toutefois d'être valables jusqu'à leur date de validité, soit une année après leur émission.
Reste la question des voyages à l'étranger. Les Suissesses et les Suisses pourront encore voyager. Le Département fédéral de l'intérieur (DFI) précise en effet n'avoir pas connaissance d'un seul pays qui n'accepte que le certificat pour accéder à son territoire. En règle générale, il est possible de présenter un autre document attestant la vaccination contre le Covid (par exemple le carnet jaune de vaccination), un test négatif ou une guérison. Il faudra toutefois s'assurer que la preuve est bien reconnue par le pays en question.
Sur place, la question de l'utilisation du certificat helvétique dans les restaurants, les musées ou les autres établissements où ce document est requis reste posée. Ceux qui disposent d'un code QR généré en Suisse pourront-ils encore le faire vérifier? Sera-t-il accepté? L'incertitude demeure. Techniquement, le certificat pourra encore être lu à l'étranger car les clés de vérification sont publiques, mais on ignore si, dans les faits, l'Union européenne va continuer à l'accepter dans son système.
En tout cas, la version papier pourrait encore être utilisée lors des voyages (en tant qu'attestation de vaccination ou de guérison mais pas en tant que certificat) jusqu'à sa date d'expiration, assure la Confédération, mais à condition que les pays l'autorisent. Or, "ce qu'acceptent les pays étrangers et comment va évoluer leur politique n'est pas de notre ressort", précise le DFI.
(Article complété le 6 novembre à 00h20 avec des précisions quant à la possibilité, au niveau purement technique, de vérifier les certificats Covid générés avant le 19 mars 2022.)
2) La loi Covid mène à une surveillance électronique de masse. → FAUX
Un oeil et un slogan "Surveillance de masse? Non". Difficile d'échapper aux affiches des opposants à la loi Covid qui fleurissent un peu partout dans le pays. Les référendaires dénoncent le traçage électronique des contacts. "La loi oblige le Conseil fédéral à instaurer une surveillance numérique complète de toutes les citoyennes et de tous les citoyens: une situation comparable à celle de la Chine", proclament-ils. Aussi dans leur viseur: le certificat sanitaire. "Quand vous présentez votre QR code, vous devez badger. Cela veut dire que vous êtes suivi partout. Où que vous alliez, on sait où vous êtes", alléguait leur porte-parole Michelle Cailler dans le 19h30 le 12 octobre.
Qu'en est-il vraiment? Concernant le traçage des contacts tout d'abord, on peut raisonnablement dire que la crainte des opposants est infondée. "La loi Covid ne contient aucune base pour l'exploitation d'une base de données de traçage des contacts", commente l'OFSP. Elle se contente en effet d'introduire une nouvelle disposition qui ordonne à la Confédération, en collaboration avec les cantons, de mettre en place un traçage électronique des contacts "complet et efficace"' et de s'assurer que ce système "fonctionne dans toute la Suisse".
Les autorités fédérales peuvent également obliger les cantons à améliorer le traçage et "les dédommager pour les dépenses en découlant". Car, au niveau opérationnel, cette tâche est du ressort des cantons. La base légale se trouve d'ailleurs non pas dans la loi Covid mais dans la loi sur les épidémies. Il revient également aux autorités cantonales de conserver les bases de données nécessaires, dans le "respect des dispositions relatives à la protection des données" (art. 58 LEp). Le traçage des contacts n'est donc pas fondamentalement concerné par le référendum.
Sur le pass sanitaire, les craintes du comité référendaire ne se vérifient pas non plus. "Aucune donnée personnelle (en lien avec le certificat Covid) n'est stockée sur les serveurs centraux de l'administration fédérale", note l'Office fédéral de l'informatique et de la télécommunication (OFIT). De plus, "ni l'administration fédérale ni les cantons ou un quelconque autre organisme public ou privé ne reçoit une quelconque information sur l'utilisation du certificat Covid", assure l'OFIT.
Lors de la procédure de vérification de la validité d'un certificat, seuls le nom, le prénom et la date de naissance sont affichés, afin d'être comparés à une pièce d'identité. Selon l'ordonnance Covid-19 situation particulière, ces données "ne peuvent pas être traitées à d'autres fins". Elles ne peuvent être stockées "que si cela est nécessaire pour garantir le contrôle d'accès" et, dans ce cas, "doivent être détruites au plus tard douze heures après la fin de la manifestation".
Relevons, par ailleurs, que le code source du système de certificats Covid est ouvert. Il est directement accessible à toute personne intéressée sur la plateforme Github. Il est ainsi possible de vérifier quelles données sont stockées et où elles le sont. Enfin, le système est légitimé par un avis publié début juin par le préposé fédéral à la protection des données, affirmant que "le certificat Covid répond à des exigences essentielles de la surveillance en matière de protection des données".
3) Les personnes vaccinées sont aussi contagieuses que les personnes non-vaccinées. → FAUX
Pour les opposants à la loi Covid, le certificat sanitaire est un "non-sens sanitaire" étant donné que le vaccin n'empêche pas de tomber malade et de transmettre le virus. Le 12 octobre sur le plateau du 19h30, la porte-parole des Amis de la Constitution Agnès Aedo allait encore plus loin, affirmant que "le pass sanitaire ne sert à rien puisqu'on sait maintenant que les vaccinés et les non-vaccinés sont tout aussi contagieux".
"C'est entièrement faux", conteste l'épidémiologiste Julien Riou. Et le chercheur à l'Université de Berne de citer une récente étude néerlandaise, disponible en prépublication sur la plateforme medRxiv, qui arrive à la conclusion qu'une personne entièrement vaccinée infectée par le variant delta a 63% de chances en moins d'infecter des personnes non vaccinées. Une précédente étude menée par la même équipe dans les mêmes conditions avait constaté une baisse de 73% de la contagion par les vaccinés porteurs du variant alpha.
La confusion provient principalement d'un rapport des Centres de contrôle et de prévention des maladies américains (CDC) publié fin juillet faisant état d'une charge virale similaire entre vaccinés et non-vaccinés. Depuis lors, les CDC ont toutefois mentionné une étude chinoise qui arrive aux mêmes conclusions que celle menée aux Pays-Bas, ainsi que d'autres recherches qui mettent en évidence un déclin de la charge virale plus rapide chez les personnes vaccinées.
Pour l'épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève, la question de la plus faible transmission du virus par les personnes vaccinées fait consensus dans le monde scientifique. "On voit presque expérimentalement sous nos yeux que les populations moins vaccinées, notamment en Europe de l'Est, sont frappées de manière dramatique", relève-t-il. La grande inconnue, selon lui, reste l'ampleur de l'avantage de la vaccination en termes de transmission, encore difficile à quantifier. "Mais même une réduction de 30% aurait un impact énorme dans la lutte contre la pandémie", relève-t-il.
4) La modification de la loi Covid du 19 mars 2021 donne davantage de pouvoir au Conseil fédéral. → FAUX
"Le Conseil fédéral est habilité à décider seul du renforcement et de l'assouplissement des mesures. Cette extension du pouvoir signifie un nouveau transfert de pouvoir du Parlement et du souverain vers le gouvernement", affirmait Josef Ender le 12 octobre, lors du lancement officiel de la campagne des opposants à la loi Covid (pdf). Et le porte-parole du comité pour le non de dénoncer un développement "antidémocratique et dangereux."
Les partisans du oui soulignent, au contraire, que les modifications de la loi Covid entrées en vigueur le 20 mars dernier introduisent de nouvelles injonctions au Conseil fédéral. Celles-ci délimitent de manière plus étroite le champ d'action du gouvernement en matière de restrictions de la vie économique et sociale, relèvent-ils. A l'épreuve des faits, c'est clairement cette interprétation qui prévaut, et non celle des opposants à la loi.
En effet, la révision du 19 mars 2021 (art. 1 al. 2bis) commande désormais au Conseil fédéral, dans le cadre de sa stratégie, de "veille(r) à ce que la vie économique et sociale soit restreinte le moins possible et le moins longtemps possible". Une exigence qui ne figurait pas dans la précédente mouture. "Pour ce faire, la Confédération et les cantons devront tout d'abord exploiter toutes les possibilités offertes par les plans de protection, par les stratégies de dépistage et de vaccination et par le traçage des contacts", poursuit le texte.
Un peu plus loin, le Parlement a également introduit un nouvel article 1a qui définit les critères et valeurs de référence relatifs aux restrictions et aux assouplissements concernant la vie économique et sociale. Le Conseil fédéral "tient compte non seulement de la situation épidémiologique, mais aussi des conséquences économiques et sociales", est-il nouvellement stipulé.
A noter, par ailleurs, que ce n'est pas sur la loi Covid que le Conseil fédéral se fonde pour restreindre les activités économiques et sociales, mais sur la loi sur les épidémies, approuvée le 22 septembre 2013 en votation populaire par 60% des Suissesses et des Suisses.
5) La Conseil fédéral n'a pas tenu sa promesse de lever toutes les restrictions à partir de la phase de normalisation. → À MOITIÉ VRAI
"Selon ses propres plans, le Conseil fédéral aurait dû lever toutes les mesures depuis longtemps, mais il a fait tout l'inverse: en introduisant l'extension de l'obligation du certificat Covid, il a massivement renforcé le train de mesures", dénonçait le président de l'UDC Marco Chiesa dans un communiqué diffusé le 15 octobre. Trois jours plus tôt, le porte-parole du comité pour le non disait peu ou prou la même chose, accusant le gouvernement de ne pas tenir sa "promesse".
Les deux opposants à la loi Covid font référence à la stratégie de sortie de crise du Conseil fédéral - le fameux modèle des trois phases (protection, stabilisation, normalisation) - présentée le 21 avril. A partir du début de la phase de normalisation, c'est-à-dire lorsque tous les adultes qui le souhaitent ont été pleinement vaccinés, "les restrictions sociales et économiques ne se justifient plus", dixit le gouvernement. Dès lors, les mesures restantes devraient être levées progressivement, et ce "même si, contrairement aux attentes, la propension de la population à se faire vacciner reste faible".
L'extension de l'obligation de présenter le certificat Covid, entrée en force à la mi-septembre, semble confirmer les critiques des opposants à la loi Covid. A cette date-là, la phase de normalisation avait déjà commencé. Mais le Conseil fédéral, toujours le 21 avril, avait prévu une échappatoire, se réservant "le droit de maintenir ou de réintroduire certaines mesures pendant un certain temps" si l'épidémie devait se renforcer et menacer de surcharger le système de santé. Et il avait posé une condition: "ces mesures ne devraient être prévues plus que pour les personnes ne disposant pas d'un certificat Covid".
Reste à savoir si, lors de l'annonce de l'extension du certificat Covid le 8 septembre, on pouvait bel et bien redouter de voir les hôpitaux être submergés. Le Conseil fédéral mentionnait explicitement cette crainte, évoquant une situation "tendue" dans les hôpitaux ainsi qu'une occupation "très élevée" des lits aux soins intensifs. "Avec l'arrivée de l'automne et d'un temps plus froid, on ne peut exclure une forte augmentation des hospitalisations et donc une surcharge des établissements hospitaliers", avançait le gouvernement.
La date du 8 septembre correspond d'ailleurs exactement au dernier pic du nombre de malades du Covid pris en charge dans un service de soins intensifs en Suisse (292 personnes). Depuis l'été, c'est aussi durant cette semaine-là qu'il y a eu le plus grand nombre de cas (18'381 cas) et le plus grand nombre de décès (54 personnes).
En revanche, le nombre de nouvelles hospitalisations (50 par jour en moyenne sur sept jours) était en baisse constante depuis le sommet du 20 août (76 par jour), tout comme le taux de tests positifs (9,77% contre 18,33% le 16 août). La moyenne mobile du nombre de nouveaux cas était également repartie à la baisse (2633 cas par jour), le point d'inflexion se situant quelques jours plus tôt (5 septembre, 2769 cas par jour).
6) L'obligation de présenter un certificat a fait chuter le chiffre d'affaires des établissements d'hôtellerie-restauration. → PLUTÔT VRAI
"Dans le secteur de la restauration, le certificat Covid entraînera une nouvelle baisse massive du chiffre d'affaires et aura pour conséquence la perte de milliers d'emplois", prédisent les opposants à la loi Covid sur leur site internet, soulignant que "plus de 50'000 emplois ont déjà été perdus dans ce secteur depuis 2020".
C'est un fait, l'hôtellerie-restauration a été très durement touchée par la pandémie. En deux ans, le nombre d'emplois dans la branche a été réduit de près de 20% (-52'000 emplois environ). Les derniers chiffres publiés par l'Office fédéral de la statistique concernent le deuxième trimestre 2021 et ne permettent donc pas de mesurer les conséquences de l'obligation de présenter le certificat dans les restaurants.
Vivement opposée à cette mesure, la fédération de l'hôtellerie et de la restauration GastroSuisse a consulté ses membres au début du mois d'octobre (pdf). Selon cette enquête, plus de quatre établissements sur cinq affirment avoir subi une baisse du chiffre d'affaires à la suite de l'extension du certificat obligatoire. Près de la moitié des entreprises déclarant une chute des recettes évaluent celle-ci à plus de 30%. Le recul est plus marqué dans les régions rurales que dans les villes.
Les données du Monitoring Consumption Switzerland - un indicateur élaboré par les Universités de Saint-Gall et de Lausanne à partir des transactions réalisées par carte bancaire - relativisent quelque peu les chiffres avancés par GastroSuisse. "Nous avons chiffré autour de 13% la réduction des dépenses dans les restaurants dans les deux semaines qui ont suivi l'introduction du certificat obligatoire", explique le professeur Rafael Lalive. "La moitié de cette baisse a ensuite été récupérée et le manque à gagner est aujourd'hui d'environ 5%", poursuit le chercheur. A noter toutefois que le Monitoring Consumption Switzerland ne fait pas de distinction entre les différents types d'établissement de restauration (restaurants, bars, vente à emporter ou services de livraison).
Malgré son opposition au pass sanitaire, GastroSuisse laisse la liberté de vote sur le référendum contre la loi Covid. La fédération ne souhaite pas donner de "faux espoirs" à ses membres, relève-t-elle. "Ni le oui ni le non n'auront un impact direct sur l'hôtellerie-restauration" puisque "les dispositions en question resteront en vigueur jusqu'au 19 mars 2022, quel que soit le résultat du vote", précise GastroSuisse.
Moins fortement touchée par l'obligation du certificat que les restaurants, les hôtels militent quant à eux en faveur de la loi Covid, tout comme la quasi-totalité de la branche touristique. "Le certificat Covid permet d'éviter un durcissement des mesures de protection, voire un nouveau confinement si la situation se détériore", soutient l'association HotellerieSuisse, qui représente 3000 établissements d'hébergement du pays.
Didier Kottelat