Pour Johan Rochel, un débat "franc et honnête" sur la vaccination obligatoire doit avoir lieu
La crise sanitaire liée au Covid-19 engendre un sentiment de ras-le-bol et de fatigue généralisée. "Tout le monde le ressent dans sa vie professionnelle, familiale et avec ses amis, et cela se répercute au niveau de la société et sur certains métiers" en charge de la pandémie, avance Johan Rochel, docteur en droit, philosophe et éthicien.
Invité de La Matinale lundi, le fondateur du laboratoire pour l'éthique de l'innovation Ethix estime que cet épuisement pèse particulièrement sur les hommes et les femmes politiques. "On parle beaucoup du personnel soignant, mais peut-être moins des décideurs et décideuses politiques qui sont aussi au front depuis de longs mois. Ils doivent en permanence faire un effort d'empathie pour essayer d'avoir la société dans son ensemble sous leurs yeux lorsqu'ils prennent des décisions. Le temps commence à devenir long et on paie collectivement le prix de leur fatigue."
La fatigue attise les tensions
L'état de fatigue général peut exacerber les conflits, notamment entre personnes vaccinées et non vaccinées. Johan Rochel affirme que le débat sur les enjeux de la pandémie est "mis en danger" dans ce contexte. "Cette discussion n'est parfois plus menée. On préfère éviter d'en parler, comme aux fêtes de Noël où l'on sait qu'il y a certains sujets à éviter. C'est la même logique à l'échelle de la société sur certains thèmes comme la vaccination."
Selon le philosophe, cela a pour conséquence un manque d'empathie envers les personnes qui pensent différemment. "Faire ce geste d'aller vers l'autre pour comprendre sa position est extrêmement coûteux en termes d'énergie et de ressources, et cela est rendu très difficile aujourd'hui. La fatigue que l'on subit chacun à titre individuel nous prend les ressources dont on aurait besoin pour se mettre à la place des autres et pour reconnaître qu'ils n'ont peut-être pas tort sur toute la ligne."
Il s'agit d'un cercle vicieux: "Si on n'a plus d'énergie, on n'a plus d'empathie et on supporte mal les tensions", résume l'éthicien.
La nécessité d'un débat
Interrogé sur l'idée de la vaccination obligatoire qui fait son chemin en Suisse, Johan Rochel estime qu'il faut se préparer à en débattre "en tant que société". "La discussion qui commence maintenant et que l'on doit mener le plus honnêtement et authentiquement possible c'est: Est-ce qu'on veut garder ce choix collectif de la liberté ou est-ce qu'on bascule dans un modèle où la vaccination devient obligatoire?"
Le philosophe souligne toutefois qu'il existe une différence entre vaccination obligatoire et vaccination forcée. Cette dernière consisterait à "mettre quelqu'un de force sur une chaise avec la police autour pour lui faire une injection". Selon l'éthicien, elle n'est "jamais légitime". "Il peut par contre y avoir une norme, comme c'est le cas pour la ceinture de sécurité", poursuit-il.
Si la vaccination obligatoire contre le Covid-19 est instaurée, la posture des autorités en tant qu'actrices de la politique publique sera modifiée. "L'Etat [ne sera] plus là pour donner des informations et permettre au citoyen de prendre la décision qui est la sienne", explique Johan Rochel.
Pour lui, le débat doit avoir lieu. "Je préfère qu'il soit franc et honnête sur l'obligation de la vaccination plutôt que sur une obligation détournée où on rend la vie des gens quasiment impossible, tout en continuant de prétendre que la vaccination n'est pas obligatoire", conclut-il.
Propos recueillis par Romaine Morard
Adaptation web: Isabel Ares