Face à l'ampleur de la vague automnale, l'Autriche et l'Allemagne ont annoncé qu'elles allaient imposer la vaccination anti-Covid à leur population. La Suisse doit-elle leur emboîter le pas? Selon deux sondages parus fin novembre dans la presse, entre 46% et 53% de la population est de cet avis.
Les élus semblent plus réticents même si certains sont prêts à franchir le Rubicon. "Je pense qu'il faudra y arriver", affirme ainsi dans les colonnes du Temps le conseiller d'Etat genevois Mauro Poggia, qui appelle le Parlement fédéral à "se saisir du sujet" au plus vite, afin de savoir "si cette voie est politiquement praticable".
Les socialistes veulent "un débat rapide"
Le coprésident du Parti socialiste Cédric Wermuth n'a pas attendu l'appel de Mauro Poggia pour empoigner la question. Sans prôner directement la vaccination obligatoire, l'Argovien a demandé "un débat ouvert rapide" sur cette mesure, ainsi que sur la règle des 2G*. "Après vingt mois de pandémie, rien ne doit plus être exclu", a-t-il ajouté.
Son collègue de parti Fabian Molina a quant à lui interpellé le Conseil fédéral. Dans sa réponse diffusée lundi, le gouvernement rappelle qu'il n'existe aujourd'hui aucune base légale pour imposer le vaccin à l'ensemble de la population. La loi sur les épidémies autorise toutefois les cantons à déclarer la vaccination obligatoire pour certains groupes comme les personnes à risque ou celles qui sont particulièrement exposées, précise-t-il.
Des élus alémaniques brisent le tabou
Fabian Molina l'assure: ni lui ni personne n'a envie d'obliger la population à se vacciner. Mais face à la hausse des cas et la menace de surcharge des hôpitaux, le socialiste zurichois n'entrevoit que trois options: des restrictions pour tout le monde, des restrictions pour les personnes non vaccinées ou la vaccination obligatoire. "Du point de vue des droits fondamentaux, cette dernière mesure est la plus proportionnée", estime-t-il.
Mais qui, sous la Coupole fédérale, soutient la vaccination obligatoire? A ce jour, peu ont brisé publiquement le tabou. Dans une interview à TeleZüri, deux parlementaires alémaniques ont tout de même franchi le pas, le Glaronais Martin Landolt (Le Centre) et la Zurichoise PLR Doris Fiala. Nous avons arpenté la salle des pas perdus afin de trouver d'autres élus favorables à cette mesure. Et autant le dire tout de suite, ils ne sont pas légion.
"J'espère qu'on ne va pas en arriver là"
"Imposer le vaccin pourrait encore tendre la situation dans la société. J'espère qu'on ne va pas en arriver là et qu'il y aura encore un progrès dans la vaccination", implore le chef du groupe socialiste aux Chambres Roger Nordmann. Et le Vaudois de tendre une perche aux vaccinosceptiques: "Je peux comprendre qu'on hésitait, surtout que le vaccin était nouveau. Mais chacun a le droit de changer d'avis. D'une certaine manère, pouvoir changer d'avis, c'est l'essence même de la liberté."
Du côté des Verts, c'est au nom du respect de l'intégrité corporelle qu'on s'oppose à la vaccination obligatoire, explique Isabelle Pasquier-Eichenberger (GE). Les écologistes privilégient d'autres mesures pour lutter contre la pandémie, comme le port du masque et les tests. Léonore Porchet (VD) remarque en outre qu'introduire une obligation aujourd'hui n'aurait pas d'effet sur la vague qui frappe actuellement la Suisse. Elle juge toutefois "important d'avoir un débat franc" sur le sujet.
A droite, la responsabilité individuelle comme maître mot
De l'autre côté de l'échiquier politique, l'UDC, sans surprise, s'oppose fermement à tout ce qui de près ou de loin s'apparente à une obligation. "Nous encourageons évidemment la population à se faire vacciner, mais nous ne voulons pas imposer la vaccination", nous explique Céline Amaudruz. "Nous nous opposons aussi, d'ailleurs, à la règle des 2G", ajoute la vice-présidente du premier parti du pays.
Les élus libéraux-radicaux misent eux aussi sur la responsabilité individuelle. Pour Olivier Feller (VD) et Philippe Nantermod (VS), la priorité est d'encourager la primovaccination des hésitants et de mettre le paquet sur le booster, tout en étendant la règle des 2G, notamment dans les entreprises. Sur la même ligne, Isabelle Moret (VD) propose notamment de "former des jeunes pour expliquer aux autres jeunes pourquoi il faut se faire vacciner".
"Ce n'est pas un chemin pour la Suisse"
Au Centre, Christine Bulliard-Marbach (FR) compte sur la "respect et la solidarité" de la population, plutôt que sur une obligation vaccinale. Son collègue de parti Vincent Maitre (GE) abonde dans son sens, estimant qu'il faut laisser le temps aux nouvelles mesures du Conseil fédéral de déployer leurs effets avant d'envisager un durcissement. Il se dit toutefois favorable à une obligation de vaccination pour le personnel soignant.
Enfin, le président des Vert'libéraux Jürg Grossen (BE) se déclare lui aussi "sceptique" quant à la vaccination obligatoire, qui risque selon lui d'accentuer les divisions dans la société. "Ce n'est pas un chemin pour la Suisse", estime le conseiller national, convaincu qu'il est encore possible de "convaincre" une partie des indécis grâce au "dialogue".
Un avenir incertain
Cependant, comme bon nombre d'interlocuteurs, Jürg Grossen insiste sur la difficulté des prévisions à long terme dans une pandémie qui a déjà réservé son lot de mauvaises surprises. "A ce jour, c'est notre position, mais qui sait ce qui adviendra si la situation se complique très fortement?", glisse le Bernois. "C'est triste, mais à un moment donné nous serons peut-être obligés d'étudier la question" de l'obligation vaccinale, déplore Christine Bulliard-Marbach.
"Une telle mesure pourrait recueillir de plus en plus de soutien dans la population, surtout si les autorités venaient à ordonner de nouvelles fermetures" en raison d'une aggravation de la situation sanitaire, relève Fabian Molina. Et l'ancien président de la Jeunesse socialiste de défendre sa démarche: ouvrir le débat au plus vite afin d'être prêt au niveau législatif s'il fallait un jour décréter une obligation de vaccination.
Didier Kottelat
* Cette expression est empruntée à l'allemand. Il s'agit de limiter l'accès à certains lieux ou certaines activités aux seules personnes vaccinées ("geimpft") ou guéries ("genesen"). Cette version exclut donc les personnes testées négatives.