Médecin à la retraite, Pierre Beck a été condamné à une peine pécuniaire avec sursis en 2020 pour avoir prescrit du pentobarbital à une femme de 86 ans en bonne santé qui souhaitait mourir en même temps que son mari qui était gravement atteint. La justice genevoise avait considéré que l'ancien vice-président d'Exit Suisse romande avait commis une infraction à la loi sur les produits thérapeutiques (LPTh), compte tenu des directives sur le suicide assisté édictées par l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM).
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Une majorité de trois juges contre deux s'est finalement dégagée en faveur de l'acceptation du recours et du renvoi à l'instance précédente. La Cour de justice du canton de Genève devra examiner si les actes de Pierre Beck ne constituent pas une infraction à la loi sur les stupéfiants (LStup). En effet, le pentobarbital figure sur la liste des produits stupéfiants.
Au cours de l'audience, pas moins de quatre positions ont été défendues par les magistrats. Deux d'entre eux ont plaidé l'acquittement pur et simple du recourant, faute de base légale. Ils estimaient que ni la LPTh, ni la LStup, en tant que lois spéciales ne pouvaient fonder la répression d'un suicide assisté alors que l'art. 115 du Code pénal régit de manière exhaustive la problématique.
Le législateur s'est abstenu
Selon cette disposition, seule l'assistance au suicide motivée par un mobile égoïste est répréhensible. Et le Code pénal ne fait pas de distinction d'auteur - qui peut être un médecin, un proche ou toute autre personne - ou de moyen. Les partisans de l'acquittement ont souligné que le Parlement a renoncé à légiférer plus avant dans ce domaine, malgré plusieurs propositions et une injonction de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH).
Une juge a défendu la position genevoise et proposé de rejeter le recours. Elle a souligné que, dans d'autres cas, il est admis que des lois spéciales soient complétées par des règles de déontologie. Un autre juge a pris les mêmes conclusions mais il s'est appuyé sur un arrêt rendu en 2011 par la Cour EDH. Cette dernière remarquait que, dans un système aussi libéral que celui de la Suisse, l'aide au suicide devait être encadrée par des règles claires.
Incertitude juridique
Dès lors que la Suisse n'a pas légiféré en la matière, ces deux juges ont estimé qu'il était toujours nécessaire de s'appuyer sur les directives de l'ASSM, même s'il s'agit là de normes édictées par une association privée. Un affranchissement de ces directives aboutirait à une incertitude juridique.
Enfin, la cinquième magistrate a défendu la position qui a finalement triomphé, soit le renvoi à la justice genevoise en vue d'un examen sous l'angle de la LStup. Afin de départager ces différentes opinions, les juges ont procédé à deux tours de vote. Lors du premier, ils ont décidé à trois contre deux d'admettre le recours et lors du second de renvoyer la cause, toujours à trois contre deux.
Ces votes ont réuni des majorités de circonstance. En effet, les deux juges qui proposaient l'acquittement et leur collègue qui se prononçait pour le renvoi ont voté l'admission. Au second tour, ce sont les deux magistrats qui rejetaient le recours qui se sont ralliés à la juge favorable au renvoi.
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Un jugement "insatisfaisant" pour Exit
"C'est un jugement que j'estime être provisoire et aussi insatisfaisant", a réagi le co-président de l'association Exit Jean-Jacques Bise dans l'émission Forum de la RTS. Il s'attendait à un acquittement.
Il faut rappeler que cette condamnation de Pierre Beck en fonction de la loi sur les produits thérapeutiques est basée sur les directives de l'Académie suisses des sciences médicales", a-t-il rappelé. "Or la Suisse a été condamnée [à ce sujet] en 2013 par la Cour européenne des droits de l'homme pour insuffisance juridique".
Jean-Jacques Bise a souligné le "grand flou" qui persiste dans la loi suisse sur cette question, faut d'être allé jusqu'au bout lors des débats parlementaires en 2009-2010.