S’exprimer devant le Conseil national peut être intimidant, d’autant plus si on figure parmi les "petits nouveaux" sous la Coupole fédérale. Rien de tout ça pour l’écologiste vaudoise Léonore Porchet. Des 26 femmes et hommes politiques romands débarqués à Berne à la suite des dernières élections fédérales (cf. encadré), la jeune trentenaire est la plus prolixe avec pas moins de 94 prises de parole depuis son entrée en fonction le 2 décembre 2019.
Un duo très loquace
"Je n’ai jamais eu d’accès de timidité, déjà lorsque j’étais au Conseil communal de Lausanne", note Léonore Porchet. De cet atout, elle en a d’ailleurs fait son métier. A côté de son mandat de parlementaire, elle travaille en tant que chargée de communication indépendante. "Il n’y a pas de raison d’être timide: j’ai la même légitimité que mes autres collègues", souligne par ailleurs la conseillère nationale, qui figure parmi les cinq plus jeunes élus du Parlement.
Je n'ai jamais eu d'accès de timidité
Pourtant, relève-t-elle, son omniprésence à la tribune n’a aucun rapport avec son aisance en public. "Je suis la seule Romande des Verts au sein de la commission de la santé, qui a été suroccupée avec la loi Covid, les retraites, les mesures d’économies dans la LAMal. Mon parti a une politique qui veut qu’il doit à chaque fois y avoir une prise de position francophone et germanophone. Je prends donc la parole systématiquement", explique Léonore Porchet.
La Verte vaudoise n’est cependant pas seule sur la première marche des parlementaires les plus loquaces. Le champion ex aequo de la prise de parole publique officie pour sa part dans l’autre chambre du Parlement. Il s’agit du Jurassien Charles Juillard. Lui non plus ne connaît pas la timidité, même s’il reconnaît "une certaine fébrilité" lors de sa première intervention depuis son pupitre de conseiller aux Etats.
"A peu près les trois quarts de mes interventions ne sont pas préparées. Ce sont plutôt des réactions à ce qui se dit durant le débat. C'est ce qui fait la force du Conseil des Etats car, contrairement au Conseil national, on peut s'exprimer sur un peu tous les sujets", estime-t-il. Sa collègue de parti Marianne Maret (VS) lui tresse des lauriers: "Il amène une vision pragmatique et toujours de manière sympathique". Et cela s'avère payant, poursuit-elle: "Il a fait changer à mon avis au minimum deux votes."
Quand un Jurassien a quelque chose à dire, en général il le dit
Il n’est pourtant pas facile de trouver sa place dans une chambre aussi codifiée que le Conseil des Etats. "De toute façon, quand un Jurassien a quelque chose à dire, en général il le dit", affirme Charles Juillard en guise de boutade. "Je n'ai pas eu de remarque particulière (...) J’ai dû trouver le bon ton et les bons arguments", ajoute-t-il plus sérieusement. Reste que le sénateur dispose d’une certaine légitimité en tant qu’ancien ministre cantonal, ancien président de la conférence des directeurs cantonaux des finances et vice-président du Centre.
Parler moins, agir plus
Retournons au Conseil national pour retrouver le moins volubile des nouveaux élus: Christophe Clivaz. En deux ans, le Vert valaisan ne s’est exprimé que 16 fois devant la Chambre du peuple. "C'est vrai que je laisse volontiers la place si quelqu'un veut jouer le rôle de rapporteur ou prendre la parole au nom du groupe", avoue-t-il. "De plus, la commission de l'environnement (dans laquelle il siège, ndlr) n'a pas eu beaucoup d'objets qui sont arrivés devant le Parlement", renchérit-il.
Avec pas moins de 70 interventions et initiatives parlementaires déposées en deux ans, Christophe Clivaz est toutefois le deuxième nouvel élu romand le plus actif. Ce spécialiste du tourisme et professeur associé à l’Université de Lausanne ne compte qu'un seul succès à son actif pour l'heure, mais il espère faire passer d’autres propositions d’ici la fin de la législature. Comment évalue-t-il son influence? "J’essaie de faire ma part, relève-t-il. Je me rends aussi compte qu'il n'y a plus beaucoup de parlementaires de milice qui ont un travail à côté. Moi, j'ai moins de temps pour les affaires publiques et ça réduit mon influence politique."
Seule Stefania Prezioso Batou, issue de la gauche radicale genevoise, a déposé davantage d’interventions que Christophe Clivaz (78). Son arme préférée, c’est l’heure des questions. A elle seule, elle en a posé pas moins de 41 au Conseil fédéral, en particulier sur des sujets liés à la politique étrangère, à la défense des droits humains et à l’accueil des réfugiés. Ses initiatives parlementaires, motions et postulats, quant à elles, sont toutes restées lettre morte.
Deux élus, deux styles
Est-ce difficile pour l’extrême gauche d’exister? "On est dans un Parlement où la droite est majoritaire. Déposer des projets écrits, c’est une voie pour montrer qu’on peut faire de la politique autrement", avance l’élue d’Ensemble à gauche. Même si elle n’a jamais réussi à convaincre la majorité, elle pense avoir “un peu d’influence” et se refuse à tirer un constat d’échec. "Au contraire, cela montre qu’il y a une résistance et que, pour combattre cette résistance, il faut être actif."
Dans la façon dont il conçoit le rôle d’un parlementaire, Damien Cottier (PLR/NE) est l’antithèse de Stefania Prezioso Batou. Il fait partie des élus qui montent très régulièrement à la tribune. En revanche, il se montre beaucoup plus parcimonieux lorsqu’il s’agit de déposer des interventions (22 au total). Lui qui connaît les arcanes du pouvoir - il a été le bras droit du conseiller fédéral Didier Burkhalter durant plusieurs années - sait à quel point les requêtes du Parlement peuvent occuper l’administration, explique-t-il.
Je n’aime pas tirer tous azimuts
Loin de se voir comme un activiste, Damien Cottier se décrit plutôt comme un "influenceur". "Je n’aime pas tirer tous azimuts. Je dépose quelque chose quand je trouve une proposition qui a des chances de recueillir une majorité et, si possible, qui peut être acceptée par le Conseil fédéral", affirme-t-il. Avec trois interventions adoptées (une motion et deux postulats), le PLR neuchâtelois est d’ailleurs le nouvel élu romand qui a fait passer le plus de propositions en son nom, à égalité avec la sénatrice Marianne Maret.
Pas si facile d'être influent
Tous les parlementaires en conviennent, être très présent à la tribune ou déposer de nombreux textes, c’est bon pour la visibilité, mais ça ne fait pas de soi quelqu’un d’influent. "Il faut être ouverte, franche et transparente avec ça: l’essentiel se joue dans les commissions. Et là, mon temps de parole est moins important", note Léonore Porchet. "L’influence, c’est quelque chose de diffus. Ce qui compte vraiment, c’est la capacité de persuasion, les contacts avec les conseillers fédéraux, l’administration et les autres parlementaires", ajoute Damien Cottier.
A ce petit jeu-là, peu de parlementaires sont capables de faire jeu égal avec Pierre-Yves Maillard. De tous les nouveaux élus, le socialiste vaudois est celui qui a déposé le moins de motions, de postulats et de questions. Il n’a pas non plus particulièrement squatté la tribune du National. Et pourtant, l’ancien conseiller d’Etat vaudois, aujourd’hui à la tête de la puissante Union syndicale suisse (USS), est unanimement considéré comme l’une des poids lourds du Parlement.
Moralité, les classements ne veulent pas tout dire. C'est malgré tout un indicateur intéressant du succès de certains parlementaires.
Didier Kottelat, avec Pierre Nebel et Flurin Planta
La méthode
Le décompte, réalisé le mardi 14 décembre 2021, recense le nombre de prises de parole d'un conseiller national à la tribune ou d'un conseiller aux Etats depuis son pupitre. A noter qu'un élu peut être amené à parler plusieurs fois durant un même débat. Le nombre d'interventions et d'initiatives parlementaires déposées a été calculé à la même date.
Nous avons pris en compte les 26 femmes et hommes politiques romands nouvellement élus lors des élections fédérales de 2019. Parmi eux figurent dix Verts, cinq élus du Centre, quatre socialistes, deux Vert'libéraux, une représentante d'Ensemble à gauche et aucun UDC. Vingt et un ont été élus au Conseil national et cinq au Conseil des Etats.
Quatre autres parlementaires romands - Emmanuel Amoos (PS/VS), Michael Graber (UDC/VS), Céline Weber Koppenburg (Vert'libéraux/VD) et Isabelle Chassot (Le Centre/FR) - sont entrés en fonction en cours de législature, à la suite de démissions. Ils n'ont pas été pris en considération.