Selon l'organisation Pro Juventute, qui lançait un appel le mois dernier pour une action urgente pour la santé mentale des jeunes, les coups de fil au numéro d'urgence 147 ont augmenté de 40% par rapport à 2020 chez les 11-20 ans. Et les questions relatives aux idées noires sont en hausse de 200%, preuve que la pandémie de Covid-19 pèse lourd sur les jeunes.
Pour le psychanalyste et professeur de pédopsychiatrie aux universités de Genève et de Lausanne François Ansermet, la santé psychique des jeunes "est un problème collectif et en même temps totalement intime".
"Chacun va vivre la pandémie par rapport à sa structure psychique, son histoire et sa famille, de façon très intime. La complexité actuelle est de connaître la place de cette intimité dans quelque chose qui est si ravageur collectivement", a déclaré l'ancien chef de pédopsychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) jeudi dans La Matinale.
Un rôle d'amplificateur
Les chiffres de Pro Juventute montrent clairement l'impact de la crise sanitaire sur les enfants et les adolescents. Selon François Ansermet, la pandémie agit comme une "loupe grossissante de tout ce qui était en jeu précédemment, avec l'angoisse, la dépression, le risque suicidaire ou les violences domestiques". "Tout ce qui était là est toujours là, mais en pire", a-t-il résumé.
Des phénomènes psychiques nouveaux et liés spécifiquement à la situation actuelle sont néanmoins observés chez les jeunes. Le pédopsychiatre cite notamment "l'angoisse de mort" devenue "concrète" pour cette catégorie de la population et qui peut aboutir à des comportements tels que des enfants qui souhaitent mourir par peur de voir leurs propres parents s'en aller.
Il y a aussi une culpabilité qui naît chez les enfants, de par leur capacité à transmettre le virus à leurs aînés par exemple, et dont on ne connaît pas encore les effets, selon François Ansermet. En outre, le psychanalyste estime que la pandémie a généré une "crise intergénérationnelle sans précédent".
Des capacités de résilience
Pour le pédopsychiatre, il n'est cependant pas question d'être fataliste. "Peut-être que les enfants sont préoccupés autrement que ce que l'on pense. C'est aussi important de dire que les enfants sont capables d'invention et de symbolisation. Ils ont des explorations qui nous surprennent. Ils n'encaissent pas non plus tout dans une souffrance insoutenable", a-t-il souligné.
"Paradoxalement, cette pandémie amène enfin à se préoccuper des enfants et des adolescents d'une manière différente. Il y a un dévoilement des enjeux pour l'enfant de ce qu'il se passe collectivement dans une société", a ajouté François Ansermet.
L'expert considère que pour aider les jeunes, il est nécessaire de leur parler, "mais surtout de les entendre" car leur parole est fondamentale. "Les enfants sont des chercheurs et des philosophes sur l'origine, la vie et la mort. Ils sont vraiment des théoriciens et ont beaucoup de choses à nous apprendre." Ils doivent donc être pris au sérieux car ce sont eux qui sont capables de "penser demain".
Aujourd'hui, d'autres problématiques touchant particulièrement les jeunes s'ajoutent à la crise sanitaire, telles que l'éco-anxiété. Mais François Ansermet estime qu'il existe aussi dans ce cas une "éco-responsabilité". Les jeunes savent également faire preuve de résilience: "Ils ont une éco-anxiété, mais ils prennent la parole, ils manifestent et se font entendre", a rappelé le psychanalyste.
Propos recueillis par Karine Vasarino
Adaptation web: Isabel Ares