Après l'acquittement de Pierre Maudet, la Suisse doit-elle renforcer ses règles contre la corruption?
Pierre Maudet a été acquitté en appel mardi dans l'affaire dite du voyage à Abu Dhabi pour laquelle l'ancien conseiller d'Etat PLR avait été condamné à 300 jours-amendes avec sursis pour acceptation d'un avantage.
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Avant Pierre Maudet, il y a eu
de Pascal Broulis et de Géraldine Savary, les relations kazakhes de Christian Miesch ou encore l'escapade de Guillaume Barazzone à Abou Dhabi. Chacun de ces cas est différent. Mais tous ces élus ont été suspectés, puis finalement blanchis de "l'acceptation d'un avantage." Un délit proche de la corruption, souvent évoqué, mais qui est rarement prononcé.
Changer la loi, plaide Lisa Mazzone
Pour la conseillère aux Etats Lisa Mazzone (Les Verts/GE), interrogée mardi dans La Matinale, le Parlement fédéral doit envisager de préciser ou de modifier le code pénal: "La corruption, c'est au sens large, aussi quand il n'y a pas une contrepartie directe. Si, en dernière instance, on estime que le cas d'une personne qui reçoit un voyage, de 50'000 francs - qu'il n'aurait vraisemblablement jamais reçu s'il n'avait pas occupé cette fonction - ne tombe pas sous le coup de la loi, de mon point de vue, la loi est alors inopérante et il faudrait la changer."
Un avis que ne partage pas le conseiller aux Etats Philippe Bauer (PLR/NE). Il rappelle qu'il peut y avoir une erreur et une sanction politique, sans pour autant qu'il y ait un délit pénal justifiant une amende ou la prison: "S'il y a un manque dans notre code pénal pour réprimer un certain nombre d'infractions ou si certaines infractions ne sont pas suffisamment décrites, il faudra peut-être modifier le code pénal. Mais aujourd'hui, je n'ai pas d'indices que ce soit le cas."
"Sanctionner les cas les plus graves"
Invité dans La Matinale, le professeur de droit pénal et de procédures pénales à l'Université de Lausanne Alain Macaluso estime aussi que l'arsenal juridique suisse en matière de corruption "est tout à fait suffisant".
Le Ministère public genevois pourrait décider de porter l'affaire de Pierre Maudet au Tribunal fédéral, ce qui ne sera pas simple, estime Alain Macaluso. "On a toujours l'impression, à la faveur des affaires médiatisées, qu'on réinvente la roue, explique-t-il. Mais ces infractions existent depuis longtemps, elles sont régulièrement révisées. D'ailleurs, celle sur l'octroi d'un avantage a été révisée en 2016. On a toujours tendance à vouloir faire tordre le droit pour l'appliquer à une affaire donnée. La justice et le droit, ce n'est pas ça."
Et d'ajouter: "Le droit pénal est une ultima ratio. Il est là pour sanctionner les cas les plus graves, ceux qui portent atteinte au bien juridique, protéger la confiance qu'on a dans les rapports de l'Etat avec les citoyens."
D'autres outils existent
Il rappelle qu'il existe "toutes sortes d'autres dispositifs" pour éviter les phénomènes para-corruptifs: "Il n'y a pas que le droit pénal. On peut aussi imaginer des codes de déontologie. Il y a aussi des dispositions du droit civil qui frappent, par exemple, de nullité les contrats entachés de corruption et toutes les règles en matière de procédure qui imposent la récusation de celui qui a un intérêt sur l'affaire sur laquelle il doit décider."
Pour le professeur de droit pénal et de procédures pénales, la société a tendance aujourd'hui à vouloir pénaliser tous les comportements qui apparaissent dérangeants: "C'est n'est pas le sens du code pénal. Il est là pour réprimer les cas les plus graves. Et le droit se change. Mais dans l'affaire Maudet, de ce qui a été rapporté dans la presse des motifs des juges, je ne vois pas ce qu'on pourrait changer, sauf à réprimer tout et n'importe quoi, sans plus de distinctions."
Sujet radio: Etienne Kocher
Propos recueillis par Romaine Morard/vajo